Commençons par illustrer l’idée de privilège au moyen d’un exercice comparatif entre deux Québécois-es, l’un-e catholique et l’autre musulman-e.
Imaginons que je sois Québécois-e de confession chrétienne catholique. Je n’ai pas à demander des accommodements au travail ni à l’école puisque l’horaire est déjà fait pour m’accommoder : j’ai congé pour fêter le Vendredi saint et le lundi de Pâques, pour fêter l’Action de grâce, Noël et aller à la messe le dimanche.
Étant donné que la seule matinée de la semaine où le stationnement est gratuit est le dimanche, mon privilège ira jusqu’à me permettre de me garer gratuitement pendant les heures de la messe.
Mon lieu de culte existe depuis un siècle ou plus, il est reconnu comme tel et donc est exempté d’impôt, il est accessible, et il reçoit éventuellement des subventions pour rénovations puisqu’il fait partie de notre patrimoine historique ou architectural.
Ces privilèges sont le résultat d’une histoire qui est la nôtre. Il n’est pas question ici de remettre en cause ces facilités, mais plutôt d’en être conscient. Elles existent.
Maintenant imaginons que je sois Québécois-e de confession musulmane. Je n’ai pas de congé le jour de mes fêtes religieuses. Je travaille à l’heure de la prière du vendredi. Je n’ai pas de stationnement gratuit pour aller prier.
Si je suis Québécois-e musulman-e, je suis peut-être en train de me débattre dans des difficultés avec la municipalité pour obtenir une autorisation de lieu de culte à un endroit accessible et non dans le fin fond d’une zone industrielle.
Si je suis un-e Québécois-e musulman-e et que j’habite Terrebonne ou Mascouche, je n’aurai tout simplement jamais de lieu de culte puisque ces deux villes n’acceptent plus d’autres lieux de culte que ceux qui existent déjà, et que les lieux de culte existants se limitent à des églises.
On peut continuer indéfiniment à énumérer des exemples de privilèges, la liste est sans fin.
Si je suis une femme et que je porte un foulard, les risques de me faire agresser dans la rue sont plus élevés que si je n’en porte pas.
Je n’ai même pas besoin d’être pratiquant pour être pénalisé : il suffit d’avoir un nom qui «sonne» musulman, car si je le remplaçais par un nom canadien-français, j’aurais 60% de plus de chances d’être appelé à une entrevue d’embauche et 40% de plus de chances d’être appelé à visiter un appartement à louer.
Dès que je traverse une frontière, si j’ai «une tête de musulman», je suis trop souvent choisi «aléatoirement» pour me faire fouiller.
Et ainsi de suite.
En somme, il apparaît donc évident que certains Québécois-e-s sont privilégié-e-s de par leur religion, et que d’autres sont pénalisé-e-s de par leur religion réelle ou présumée.
L’accommodement raisonnable est en fait un outil nécessaire, mais non suffisant, pour aider à garantir une réelle égalité entre les citoyen-ne-s.
En effet, comme défini par la commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, «l’accommodement raisonnable est un moyen utilisé pour faire cesser une situation de discrimination fondée sur le handicap, la religion, l’âge ou tout autre motif interdit par la Charte. L’accommodement raisonnable est une obligation. En effet, les employeurs et les fournisseurs de services sont obligés de rechercher activement une solution permettant à un employé, un client ou un bénéficiaire d’exercer pleinement ses droits».
En conclusion, il est important de toujours rappeler l’esprit dans lequel cet outil juridique devrait être compris. Un accommodement raisonnable n’est pas une faveur qu’on octroie à un-e Québecois-e, mais bien un droit pour corriger une inégalité. Ce n’est en aucun cas un privilège, mais plutôt une manière de pallier un manque de privilèges.
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