«Ma maison est là-bas, mon père est là-bas, avec beaucoup de nos cousins et de nos amis» dit Zarif. «Quand il y a internet, on se parle par Skype ou par Messenger, mais comme l’électricité est souvent coupée là-bas, il faut faire des travaux de contorsionniste pour être en contact», poursuit Zarif, qui vit à Montréal depuis 16 ans.

«Ma famille vit dans la peur, parce qu’à tout moment il peut y avoir un bombardement. Mais en même temps, il faut continuer à vivre. L’espoir nous fait vivre.» Cette résilience fait partie des qualités que Zarif et ses collaborateurs, Youssef Shoufan et Simon Boileau, veulent souligner avec le centre culturel mobile la Maison de la Syrie, qu’ils ont co-fondé. Le centre a pour but de montrer la richesse et la diversité de la culture syrienne, et également d’y réunir les Syrien-nes nouvellement arrivé-es à Montréal, les membres de la communauté établie ici depuis des décennies, et les autres Montréalais-es.

Ma famille vit dans la peur, parce qu’à tout moment il peut y avoir un bombardement. Mais en même temps, il faut continuer à vivre.

L’intégration par la culture

Aujourd’hui, la communauté syrienne de Montréal, qui compte environ 18000 personnes, travaille à accueillir plus de 5200 réfugié-es de guerre arrivé-es au cours de la dernière année. Les familles chrétiennes orthodoxes francophones sont majoritaires parmi les familles d’accueil; les personnes nouvelles arrivantes sont souvent musulmanes, avec des niveaux d’éducation variés, anglophones quand ils ne sont pas unilingues arabophones. Mais l’un des buts de la Maison de la Syrie est de montrer l’unité dans la diversité, d’amener un groupe à la rencontre de l’autre et des diverses communautés de Montréal.

Plus tôt cet automne, les fondateurs et la fondatrice ont organisé le premier Festival des Cultures Syriennes de Montréal, qui a réuni des Syrien-nes de différentes communautés, et des Montréalais-es qui voulaient mieux connaître la culture, autour d’évènements culturels et musicaux. L’Ensemble Zaman, un quintette composé de musiciens de cinq pays différents, a soulevé la foule avec des interprétations envoûtantes de mélodies moyenâgeuses. Réfugié-es et Montréalais-es de naissance ont battu le rythme ensemble, visiblement enjoué-es.

On a vécu beaucoup de deuils dernièrement. On a beaucoup pleuré, mais on est capable d’organiser des moments joyeux qui nous donnent beaucoup d’espoir

«On a vécu beaucoup de deuils dernièrement. On a beaucoup pleuré, mais on est capable d’organiser des moments joyeux qui nous donnent beaucoup d’espoir», dit Youssef Shoufan. «Au début, les besoins de tout groupe qui arrive sont surtout humanitaires. Mais il y a aussi un besoin de rencontre pour les personnes qui arrivent», poursuit-il. «Si elles restent chez elle toute la journée, elles ne s’intègrent pas et ne font pas de découvertes. Et les autres ne les rencontrent pas. On a beaucoup d’activités en français, qui leur sont moins accessibles, mais la musique, elle, réunit tout le monde.»

Basma, mère de trois enfants arrivée il y a moins de deux mois, a assisté au concert avec ses deux fils, invités par Shoufan et ses collaborateurs. «Je savais qu’il y avait une communauté syrienne au Canada, parce que j’avais des amis qui étaient allés à Toronto et à Vancouver, mais je ne savais pas qu’il y avait un si grand groupe à Montréal,» confie-t-elle. Elle est arrivée à Montréal au mois d’août avec ses enfants, après avoir passé trois ans dans un camp de réfugié-es en Jordanie et un an dans une prison syrienne. «J’ai essayé de partir avec ma fille mais on nous a mis en prison, parce que si on quittait le pays, on était contre le régime. On nous a menacées, torturées avec de l’eau bouillante, ma fille de sept ans et moi, raconte Basma. Ici, ce qui me frappe chaque jour, c’est l’humanité des gens.»

Réunir plus largement

Le projet de Shoufan, Zarif et Boileau ne vise pas seulement la communauté syrienne. «Il y a beaucoup de préjugés à défaire sur les Syrien-nes, sur les Arabes, sur les musulmans. Il faut les défaire et montrer qu’on a une culture pleine de richesse et d’histoire, dit Marya Zarif. L’image des Syrien-nes pitoyables, victimes, c’est nouveau. C’est un peuple qui a beaucoup d’humour, d’autodérision, d’espoir et de joie de vivre. On veut que les autres fassent la rencontre des Syrien-nes.»

«On veut un jour que La Maison de la Syrie ait des installations permanentes,» dit Simon Boileau, qui s’est passionné pour la Syrie suite à une série de voyages dans le pays. «Mais pour l’instant, nous sommes nomades. Un peu comme le peuple syrien en ce moment.»