Mickaël Bergeron : Il y a eu un buzz autour de Safia Nolin, comment as-tu vécu le passage de l’anonymat à l’exposition médiatique?
Safia Nolin : J’ai plus d’attention qu’en temps normal, mais je le vis bien. Ça me fascine quand des inconnus viennent me parler. C’est tellement inhabituel!
M.B. : As-tu réussi à t’habituer aux entrevues?
S.N. : Quand même, oui. Tu ne t’habitues pas tant, mais ça me stresse moins. En fin de compte, je le vis bien. Je ne suis pas full bonne pour parler avec le monde, je dis souvent des niaiseries. Je ne me censure peut-être pas assez, mais en même temps, je m’en fous. Des fois sur la scène, j’en reviens pas, «holy shit!», j’ai dit ça! Ça prend du jus assumer des affaires des fois.
M.B. : Te pinces-tu des fois, as-tu l’impression de vivre un rêve?
S.N. : Je trouve ça fou. Des fois je me pince et c’est weird, mais c’est le plus beau weird du monde. Je ne pensais pas du tout que ça allait arriver. Avant, je ne croyais pas à ce que je faisais, maintenant un peu plus. Je ne pensais pas avoir le talent, le charisme pour ça. Je voyais les autres et je comprenais pourquoi Les Sœurs Boulay ou Karim Ouellet, ça marchait, mais moi, je ne voyais pas pourquoi ça marcherait.
M.B. : Et là tu comprends plus?
S.N. : Non! Je comprends que les gens aiment l’authenticité, mais c’est tout!
M.B. : C’est devenu un métier pour toi. Es-tu surprise par le travail que ça demande?
S.N. : Je savais que c’était du travail, mais c’est intense sur les émotions. C’est épuisant un moment pis tout d’un coup plus rien. Il n’y a pas de demies-mesures. Les congés, je trouve ça difficile. J’en ai besoin, mais je trouve ça dur, je pense que j’ai besoin de faire des shows.
M.B. : Ton album se nomme Limoilou, ton quartier d’enfance?
S.N. : Je suis arrivée tard en fait. Ma mère est née à Limoilou, mes grands-parents aussi, mais moi je suis arrivée à 18 ans. J’avais fait le tour de la ville avant. Je suis née à Sainte-Foy, j’ai habité à Duberger, Montcalm, St-Jean-Baptiste, je les ai tous faits, les quartiers. Mais ma vie a changé à Limoilou, j’ai écrit mes premières chansons là. Je suis ressortie d’une période dark dans Limoilou, ce n’était pas une période nice de ma vie… Mais Limoilou représente beaucoup pour moi. C’est mon quartier préféré à Québec.
M.B. : Malgré tout, tu as quitté Limoilou et Québec quand même.
S.N. : J’avais besoin de complètement changer de paysage. Je voulais juste sortir de Québec. Pas la ville en soi, mais Québec représente quelque chose que j’avais besoin de quitter. Je suis allée à Granby pour étudier la musique, mais je n’ai pas aimé ça. Puis ça a été Montréal. C’est malade Montréal! Il y a tellement d’affaires. Tu peux pas t’emmerder, bien tu peux, mais il y a tellement de possibilités. Et c’est plus simple pour la musique.
M.B. : Tes textes semblent marquer une enfance difficile.
S.N. : J’ai eu des époques avec vraiment pas beaucoup d’argent, des moments pas nice avec ma famille, c’est peut-être des trucs que tout le monde vit, je ne sais pas. J’ai quitté l’école. J’ai eu un drôle de chemin de vie.
M.B. : Peut-on dire que tu étais une adolescente solitaire?
S.N. : Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis, je me faisais intimider, vraiment beaucoup. Pendant mon primaire et mon secondaire. J’étais quand même seule souvent.
M.B. : D’où ce besoin de quitter Limoilou…
S.N. : Je me rends compte que mes amis sont tous de la musique, rencontrés après mon départ de Québec. Je ne connais pas vraiment de gens à Québec, très peu, je pense que je connais pu personne à Québec.
M.B. : Qu’est-ce qui t’a donné envie de jouer de la guitare et de chanter?
S.N. : Quand j’ai lâché l’école, je faisais juste fumer du pot et écouter la télé. Je ne faisais rien. Un moment donné, j’ai décidé d’apprendre un instrument, parce que j’adore la musique. Mon frère m’a trouvé une guitare toute scrappe. J’ai appris avec YouTube. Ça a marché! J’ai gossé ensuite de mon bord. J’ai déjà suivi un ou deux cours de voix, pour le chant. Juste apprendre à respirer, ça a aidé!
M.B. : Combien de temps entre la guitare scrappe et ta première chanson sur YouTube?
S.N. : Un mois! C’est vraiment rapide! J’ai voulu apprendre pour composer, alors je me suis vraiment grouillée. Ça a donné ce que ça a donné!
M.B. : C’est candide ou courageux?
S.N. : C’est candide! C’est fou comment ce n’était pas bon! En me forçant, ç’a a fini par être pas pire. La première fois que j’ai fait de la scène, j’étais pétrifiée, mais des gens m’avaient déjà vu sur YouTube, ça m’a aidé. Une glace était déjà brisée.
M.B. : Tu as quand même appris vite!
S.N. : Avant, j’écrivais de la poésie de crotte comme tous les ados frustrés. J’ai commencé en 2012, à 19 ans, à écrire des chansons. J’ai écrit Igloo, puis une autre, et une autre. Pour aller à Granby, il m’en fallait trois. Au début, j’ai essayé d’écrire en anglais, mais ce n’était pas bon, pas naturel, super cheesy. Quand j’ai essayé en français, ça a coulé.
**M.B. : Igloo est donc ta première chanson et ç’a été un hit!
S.N. : Un hit, c’est discutable, mais cette chanson m’a amenée vraiment loin. C’est bizarre comme expérience! Des fois je joue mes tounes et je me demande d’où ça vient. Igloo est tellement différente de ce que j’ai écrit par la suite. Je n’écris plus comme ça. Mais le premier album est un ramassis de toute. Je ne suis plus au même endroit, c’est fou!
M.B. : Tu écoutes beaucoup de pop, mais ce n’est pas ça qu’on entend dans ta musique.
S.N. : J’aime beaucoup la musique pop, c’est comme une mathématique, une bonne recette. Il faut être vraiment intelligent pour écrire des hits pop. C’est comme manger un Jos Louis. C’est fait pour qu’on aime ça, pour que ça nous touche. C’est tellement précis, c’est fascinant. Je ne sais pas si ça m’influence. Sûrement, mais je ne sais pas comment.
M.B. : Tu aimes aussi beaucoup Miley Cyrus.
S.N. : Ça remonte à Hannah Montana, j’adorais Hannah. Là, j’adore Miley, j’aime pas tant sa musique, mais c’est une personne authentique, elle s’en crisse et c’est inspirant. J’adore son je-m’en-foutisme.
M.B. : Tu te reconnais?
S.N. : Oui, moi aussi je m’en crisse. Je ne dirais pas ce que je dis ou ce que je fais, si je ne m’en foutais pas. Elle m’inspire beaucoup.
M.B. : Elle se fait beaucoup critiquer aussi.
S.N. : Certaines personnes ne sont pas ouvertes. Je ne comprends pas pourquoi des gens prennent du temps pour basher. Quand ça ne te plait pas, tu n’es pas obligé de basher. Pourquoi c’est important de dire qu’on trouve que c’est de la marde? Mais Miley, elle s’en câlisse. Des fois j’ai des mauvais commentaires et c’est correct, ça fait partie de la vie. Je le lis et, well, c’est la vie.
M.B. : Tu es allée à Granby, qu’est-ce qui t’a poussé si tu n’y croyais pas au début?
S.N. : C’est ma mère qui m’a poussée. Elle, elle y croyait. J’ai été prise pour l’audition, elle était fière. Ma sœur et ma mère ont été mon premier public et elles m’ont encouragée. Si elle ne l’avait pas fait, je ne pense pas que je serais allée.
M.B. : Ça a été dur de croire en toi?
S.N. : Ça a vraiment été dur. J’avais de la misère à socialiser, tout me faisait peur quand j’ai fait Granby, mais tout ça a tellement donné de quoi de nice. Ça été fucking tough, mais ça m’a fait grandir.
M.B. : Qu’est-ce que t’a donné Granby?
S.N. : Moi je ne faisais pas la finale de Granby, mais je m’en foutais de gagner ou pas. On dirait que je me fous de tout, mais je n’ai juste pas d’attente. Happen what happen. Philippe Brault a aimé ce que j’ai fait. Il a envoyé mon démo à des maisons de disques. Je me suis fait beaucoup d’amis. J’ai gagné 1000 $ et j’ai acheté une guitare. Les concours, ça ne me va pas bien. Je n’aime pas ça. Je n’ai pas fait d’autres concours et je ne veux pas en faire d’autres. Je trouve que la compétition n’est pas nécessaire. C’est trop, ça ne devrait pas être là en musique.
M.B. : La tristesse et la mélancolie sont bien présentes dans tes textes. J’imagine que ça a fait du bien l’écrire, est-ce que ça fait encore du bien le chanter?
S.N. : Oui, mais c’est transposé sur d’autres situations de ma vie maintenant. Ça fait sortir beaucoup de caca, ça fait du bien pour vrai. Je ne me vois pas écrire sur des trucs beaux pis roses. Le peu de beau et de rose, on ne veut pas l’extérioriser, il faut le vivre, le garder et s’en nourrir.
M.B. : Tu es une fille timide, mais en sortant le méchant comme ça, c’est une forme de mise à nue. Vis-tu un conflit intérieur?
S.N. : Ça se fait bien. Il y a des journées plus dures à faire face, à m’en foutre, ça arrive peut-être une fois aux six mois, mais ça dure une minute. Mais en fin de compte, je l’assume.
M.B. : Sens-tu que tu as encore beaucoup de méchant à sortir?
S.N. : J’ai d’autres problèmes, je fais beaucoup d’angoisse, j’aimerais ça le sortir. Il y a toujours quelque chose. Et quand ça va bien, tu te tasses et tu vis ton bien.
M.B. : As-tu déjà inquiété tes proches avec tes chansons?
S.N. : Vraiment! Souvent! Quand mon album est sorti, plein de gens sont venus me voir pour être sûrs que j’allais bien. Ça m’a touchée! Ma sœur comprenait que je vivais mes émotions. Ma mère était beaucoup plus inquiète que ma sœur.
M.B. : Comment vis-tu la vie de tournée?
S.N. : J’adore ça. C’est hot voyager et rencontrer les gens, même si c’est Brossard. Aller à Rouyn, New Richmond, c’est cool en criss.
M.B. : C’est un emploi de rêve?
S.N. : Oui, c’est une job, mais je l’oublie souvent que c’en est une.
M.B. : De quoi rêve une femme sans attente qui goûte au succès?
S.N. : Je rêve de continuer de faire la musique, de faire un autre album, aller aux États-Unis avec ma musique. En fait, aller ailleurs avec ma musique en français. Je veux promener la musique francophone.
M.B. : En terminant, sur ta pochette, on retrouve un épaulard, un animal qui ne vit pas du tout dans Limoilou. Pourquoi?
S.N. : C’est mon animal préféré. C’est un animal fascinant. C’est super intelligent, vraiment similaire à l’humain sur plein de niveaux. Ils ont une culture et des coutumes, c’est vraiment fucké. Il y en a partout sur la Terre et ils ne sont pas tous pareils et n’ont pas le même langage selon la région. C’est leurs émotions qui les guident dans la vie. Ils ont un bout de cerveau qu’on n’a pas juste pour gérer les émotions. Je pense que mon amour vient du film Mon ami Willie.
M.B. : As-tu déjà pu en toucher un?
S.N. : Non! Je ne sais pas si j’irais dans l’eau, pas parce que c’est dangereux, ça ne l’est pas, mais c’est froid quand même, mais en voir un, j’aimerais ça!