Le droit criminel a plusieurs objectifs, dont, entre autres, la punition, la dissuasion et l’expression d’une indignation morale collective. Les différents objectifs du droit criminel sont soupesés par les juges à chaque fois qu’ils prennent des décisions, notamment quant aux peines qu’ils imposent aux individus reconnus coupables de crimes. Dans ce contexte, la présomption d’innocence est une des pierres angulaires d’un système dont les conséquences sont majeures pour l’individu condamné. On comprend tous, intuitivement, l’importance de cette présomption afin de préserver l’intégrité du droit criminel.
Mais il est important que l’on puisse aussi, socialement, prendre la mesure des limites intrinsèques à ce système et que l’on trouve d’autres moyens de répondre à certains besoins qui sont clairement évacués par la justice traditionnelle. Car au fait, c’est quoi, rendre justice? Pour les victimes de crimes qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychologique, la condamnation de leur agresseur n’est qu’une partie du processus qui peut conduire à une guérison qui ne sera toujours que partielle de leurs blessures. Et peut-être que c’est un choix que l’on doit respecter, celui de privilégier par exemple la prise de parole publique afin de conscientiser. L’objectif du droit criminel de punition du coupable n’est pas le seul à prendre en compte. Au final, il n’a peut-être pas la même vertu que le fait d’avoir pu permettre à une société de prendre le pouls de la souffrance d’une énorme partie de sa population et de se poser des questions sur le contexte dans lequel des gestes comme ceux-ci sont posés.
Avant de sermonner les victimes d’agressions sexuelles parce qu’elles ne se conforment pas aux exigences d’un cadre juridique rigide, peut-être faut-il amorcer une réflexion de pondération des effets de ce système et des objectifs qu’il poursuit. Pour ce faire, il faut décortiquer les impacts individuels et sociaux de l’agression sexuelle. Il s’agit d’un phénomène extrêmement complexe, qui s’inscrit dans des dynamiques de pouvoir et de domination sociales et qui crée un bouleversement profond du sens de l’intimité et de l’identité de la victime. Mettre un terme à la culture du viol, ça ne se fera pas uniquement en multipliant les campagnes de prévention en parallèle avec des poursuites criminelles systématiques, à mon humble avis. Le coût des procédures juridiques à payer par les victimes est tout simplement trop lourd pour un résultat qui ne les aide pas assez concrètement. Il faut repenser la façon dont on réagit, comme société, à ce phénomène.
Déplorer qu’en prenant la parole publiquement, des présumées victimes mettent en échec le processus criminel, cela revient à ériger en panacée le système judiciaire. Ce faisant, on ignore du même coup des dimensions importantes et douloureuses, tant personnelles que sociales, de l’agression sexuelle. Par respect pour les victimes, mais aussi pour toutes les femmes qui subissent les effets de la culture du viol, on se doit de réagir avec plus de profondeur et d’imagination.