Il y a deux ans presque jour pour jour éclataient l’affaire Ghomeshi et le mouvement #AgressionNonDenoncee. On a dit alors que cette déferlante représentait «une digue qui cède enfin». Pourtant aujourd’hui, c’est du pareil au même : des faits différents, mais enracinés dans la même trame violente et misogyne.
«Grab ‘em by the pussy», a dit ce candidat à la présidence américaine que plusieurs femmes accusent de les avoir agressées. Puis chez nous, une vague d’agressions sexuelles dans les résidences de l’Université Laval. «Elles auraient dû verrouiller leurs portes» ont dit quelques petits malins. «Marc Lépine a mis sa liste à jour» a dit un autre, au sujet d’un ouvrage sur les femmes qui réussissent. Des policiers de Val-d’Or poursuivent Radio-Canada suite à un reportage sur des allégations d’abus sexuels de femmes autochtones. Mais qu’importe, puisqu’il n’y a «pas de règles» sur les réserves indiennes, comme l’a dit à la blague un animateur de talkshow populaire. Au même moment, les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence lancent un appel à l’aide : la demande explose, les cas se complexifient, les ressources manquent cruellement. On attend toujours que le gouvernement propose une stratégie pour prévenir et contrer les violences sexuelles. Et alors qu’on croyait que les choses ne pouvaient pas être pires, une jeune femme accuse un député de l’avoir violée, deux fois.
J’ai lu le témoignage d’Alice Paquet. J’en ai fait de l’insomnie. On se fiche de mes états d’âme, j’en conviens, mais il faut s’arrêter un instant à cet effet d’onde de choc. Il n’est pas anodin. La violence faite aux femmes, le récit de cette violence, agit sur nous toutes comme un rappel à l’ordre. Ces irruptions de misogynie déchirent l’enveloppe lisse qui, en temps normal, fait paraître les rapports hommes femmes toujours heureux et pacifiés. Rien ne révèle plus brutalement l’inégalité entachant la différence des sexes que la violence qui éclate au grand jour.
Pour les femmes, les événements des derniers jours forcent un repli. Face au spectacle de la violence, on s’enfonce, on se réfugie en soi pour garder bonne contenance. Ces événements nous isolent dans un silence douloureux. Il devient soudain difficile de se sentir solide sur ses pattes. Le sol semble mouvant, plus rien ne paraît sûr. Mais néanmoins, on nous demande de rester calmes, raisonnables, ouvertes au dialogue. Il faut mettre de côté les braquages et s’asseoir, même après une nuit à trembler, pour écrire des textes qui font les mêmes démonstrations, encore et encore, sans que rien ne change. C’est épuisant. Nous ressentons toutes cette fatigue.
Les hommes demandent souvent ce qu’ils peuvent faire pour empêcher la violence qui pèse sur les femmes comme une chape plomb. La première chose à faire serait d’assumer la responsabilité qui leur revient dans ce cafouillage collectif. Relevez-vous les manches. Agissez sur le terrain de votre sexe. Ce ne sont pas les mots et les gestes des femmes qu’il faut scruter à la loupe, ce sont les vôtres. Cessons d’opposer que cela ressemble à une chasse aux sorcières. Ça n’a rien à voir. Il ne s’agit pas de traquer et détruire des monstres. Il s’agit d’insuffler l’élan d’une transformation sociale. Les femmes ont de tout temps porté ce fardeau seules. Il serait bon d’enfin le partager, afin de corriger les asymétries de pouvoir qui laissent libre cours aux violences invisibles.