À sa défense, monsieur Trump explique qu’il a tenu des propos grossiers, certes, «mais que ceux-ci faisaient partie d’une conversation privée, une conversation de vestiaire». N’en déplaise à monsieur Trump, les vestiaires n’ont pas de statut particulier ni de cadre juridique qui leurs est propre et aux dernières nouvelles, l’aveu ou l’avènement d’un acte potentiellement criminel n’est pas plus tolérable dans le vestiaire qu’à la plage, au marché ou au café, dans un bar ou dans une salle de cinéma. Est-il nécessaire de spécifier que ce n’est pas le caractère grossier des mots qui dérange? C’est leur nature. Monsieur Trump aurait bien pu réciter du Shakespeare en intro, l’intention criminelle est là. Tout est là.

Disposer du corps des femmes

Ce que nous avons devant les yeux, c’est un homme qui avoue pouvoir disposer du corps des femmes comme il le veut. C’est un homme qui reconnait être dans une position dominante et, en raison de ce rapport de pouvoir, s’autorise à faire tout ce qu’il lui passe par la tête en toute conscience. Et puisqu’il nous manque l’heure, la date, l’endroit et le nom des femmes concernées, il n’est pas possible de parler d’aveux d’agressions sexuelles à proprement dit.

Les femmes n’ont pas de recours judiciaire contre une attitude prédatrice générale. Anticiper le risque, craindre d’être une victime, se faire considérer ou rejeter sur la base du corps : voilà une expérience de la violence toute féminine. Le seul recours légal pour elles, et seulement si le nom du bourreau est connu et que les évènements se poursuivent dans le temps, est de porter plainte pour intimidation. Et encore là, il leur faudra présenter un dossier solide. Or, est-ce qu’il y a quelque chose de plus difficile à prouver en cour qu’un rapport de domination et le sentiment d’impuissance d’être dépossédée de son corps?

Aux États-Unis comme ici, il faudra attendre qu’un geste criminel soit posé. Bien sûr, puisqu’il s’agit ici de deux États de droits, il est tout à fait souhaitable que s’il est accusé, monsieur Trump ait droit à une défense en bonne et due forme. Les procédures judiciaires des deux pays sont assez semblables : le fardeau de la preuve est à la charge du procureur et celui-ci doit prouver la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable. Ce qui nous amène à ceci : si Donald Trump est innocent jusqu’à preuve du contraire, est-ce que ces femmes qui accusent Donald Trump d’agressions sexuelles sont des menteuses jusqu’à preuve du contraire?

Un traitement privilégié?

Nous sommes manifestement en présence d’un individu qui aime s’inventer au-delà des lois et des hommes. Si l’on se fie à Donald Trump, ce serait un des signes de la réussite de pouvoir agresser les femmes sexuellement. Faudrait-il lui mentionner que la fonction de président des États-Unis qu’il convoite est un privilège? Faudrait-il lui rappeler que la personne à ce poste est redevable à l’entièreté de la population américaine et pas seulement à la minorité qu’est sa base électorale? Faudrait-il l’informer que sa classe sociale et sa condition lui donnent accès à des ressources et à des privilèges et que la manière dont il dispose de ceux-ci est d’ordre public? Serait-il temps de prendre certaines mesures collectives pour stopper ce «traitement de star», sachant que nous sommes complices d’un individu dangereux?

Alors qu’il est questionné sur ces allégations d’agressions sexuelles lors du débat d’hier à Las Vegas, monsieur Trump explique qu’il s’agit de pure fiction. Il enchaîne ensuite sur la Clinton Fondation, qui a reçu des sommes d’argent considérables de l’Arabie-Saoudite et du Qatar et il demande à madame Clinton : «comment lui est-il possible d’accepter de l’argent de ces deux pays tout en sachant comment on y traite les femmes?» Monsieur Trump a manqué une belle occasion de dire qu’il prenait la violence contre les femmes très au sérieux. Il était temps de montrer à l’Amérique ses statistiques, de parler des conditions inégales pour les Américaines et de se faire le réel défenseur de celles qu’il prétend respecter. Rien de tout ça n’a eu lieu hier.

L’État contrôlera vos corps et c’est tout

Bien ironiquement, la place des femmes dans le projet politique de Donald Trump n’a pas été mentionnée tout au long de la campagne. La seule mesure spécifique les concernant est celle voulant stopper les subventions gouvernementales aux établissements de santé pratiquant l’avortement. L’État contrôlera vos corps et c’est tout. Parce que dans la tête de Donald Trump, comme dans ses conversations de vestiaires, les femmes n’existent que dans cette zone du désir. Elles sont périphériques à l’action et grâce à leur casting de l’attente et à leur volonté sexuelle trouble, on peut disposer d’elles comme d’un banc public. Le non-respect de l’intégrité physique ou morale d’un individu est une atteinte magistrale aux libertés fondamentales que le candidat républicain se propose de défendre. Mais ça, monsieur Trump va peut-être avoir le temps d’y réfléchir longuement. En prison?

Celui qui a fait campagne sous le thème de l’anti-politically correct a visiblement atteint le seuil de tolérance des Américains cette semaine. Les femmes se mobilisent : les hashtags #NotOkay et #pussygrabsback ont été tweetés plus d’un million de fois. La ligne téléphonique d’aide aux victimes d’agressions sexuelles National Sexual Assault Hotline a connu une augmentation de son achalandage de 33% de vendredi à dimanche. Sur les médias sociaux, les photos et les messages de femmes qui répondent par le vote aux allégations d’agressions sexuelles de Donald Trump se multiplient.

Des femmes.

Des femmes-sujets qui votent et qui portent plainte.

Ce sont les femmes qui vous feront tomber, monsieur Trump.

La question de la violence contre les femmes est un enjeu de premier ordre. Les femmes ne voteront pas pour Clinton parce qu’elle est une femme. Les femmes voteront pour Clinton afin que vous et votre vision misérable des femmes ne s’approchent pas de la présidence des États-Unis.

Isabelle Montpetit est comédienne, autrice interdisciplinaire et militante féministe.
Les positions exprimées dans cette lettre ouverte ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale de Ricochet.