«Quand ils construisaient la station Berri-UQAM [au milieu des années 60], il fallait que ma mère me porte jusqu’à l’arrêt de bus, pour contourner le chantier, afin que je puisse me rendre à l’école,» se souvient Sutherland, dans la soixantaine, qui se déplace en fauteuil roulant. «Il a fallu attendre 2009, quand ils ont installé l’ascenseur à la station Berri-UQAM, pour que je puisse utiliser le métro moi-même.»
«En 1966, on ne voyait pas de personnes avec des handicaps dans la rue. Elles vivaient dans les hôpitaux. Les mamans avec des poussettes attendaient le dimanche après-midi pour sortir avec leur mari. Les temps étaient différents,» seconde Gauthier, présidente du Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec (RAPLIQ). «Mais il n’y a plus aucune raison aujourd’hui que l’on tarde à ce point [à rendre le métro accessible]. C’est une question des droits de la personne.» Gauthier et le RAPLIQ entament actuellement un recours collectif contre la Société des transports de Montréal (STM). Si le recours réussit, la STM serait contrainte à rendre l’ensemble du réseau accessible d’ici 2045 et à verser un dédommagement de 75 000 $ à chaque personne à mobilité réduite qui utilise la STM, un montant qui s’élèverait à plusieurs milliards de dollars. «On ne fait pas ça pour l’argent, mais si l’on ne demandait pas d’argent, personne ne ferait attention,» précise la militante. «C’est pour le principe.»
Plusieurs dizaines de personnes à mobilité réduite, dont Sutherland et Gauthier, se sont réunies devant la Station Place-des-Arts le 14 octobre dernier lors des commémorations du 50e anniversaire du Métro. Ils et elles réclamaient une mise en accessibilité accélérée du réseau. La station Place-des-Arts, comme l’ensemble de la ligne verte, n’est pas accessible; une rampe temporaire avait été mise en place pour l’occasion, suite à la pression des groupes de plaidoyer.
Trois jours auparavant, le maire de Montréal, Denis Coderre, et le président du conseil d’administration de la STM Philippe Schnobb, avaient annoncé un investissement de 213 M $ pour accélérer la mise en accessibilité de 14 stations.
«Nous espérons accélérer le rythme des travaux afin que tout le réseau soit accessible d’ici 2038 : nous doublerons donc notre cadence des travaux d’accessibilité, passant de 1,2 station par année à 2,3 stations,» a fait savoir M. Schnobb en conférence de presse.
«Depuis 2009, on s’est engagé à rendre accessible toutes les nouvelles stations dès la construction,» a rappelé Amélie Régis, porte-parole de la STM. «Pour les autres stations, on procède avec l’implantation des ascenseurs, dont le prix et le temps d’installation varient beaucoup.»
Pour Marie-Ève Veilleux, cofondatrice de l’association Québec Accessible, l’expansion ne se fait pas assez vite. «Le dossier avance au compte-goutte. À Toronto, ils se sont engagés à rendre tout le métro accessible d’ici 2025, parce que la loi ontarienne les oblige à le faire. Ici, nous avons une loi qui manque de dents. Si on en avait une, la STM pourrait dire au municipal et au provincial « Donnez-nous des sous pour l’accessibilité! »»
Au rythme actuel des constructions, l’ensemble du métro ne sera accessible qu’en 2085. Quant au système de bus, tous les bus, à part ceux sur la ligne 2012 et certains sur la 747, sont munis de rampes, mais des utilisateurs et utilisatrices rapportent que celles-ci se brisent souvent, contraignant les personnes en fauteuil roulant à attendre le prochain bus.
Comme alternative, plusieurs milliers de personnes utilisent le service de transport adapté, un service de fourgon adapté partagé qui ramène les passagers à leur destination, pour le même prix qu’un trajet en bus. Mais le service a ses propres lacunes.
«Comme il faut réserver chaque fois de un à trois jours à l’avance, la spontanéité est absente,» dit Sutherland. «Je ne peux pas décider d’aller voir un film comme n’importe qui. Si je pouvais utiliser le métro normalement, ce serait possible.»
«Le transport public devrait être pour tout le public, tout le temps,» seconde Jenna Roy. La jeune travailleuse sociale est venue de Gatineau pour revendiquer le transport accessible. «Parce que je suis en visite, je ne suis pas admissible au transport adapté, alors soit je roule un kilomètre ou plus, soit je paye un taxi à 25 $ le trajet. Quel cauchemar pour les touristes!»
«Les gens sont habitués à vivre avec moins de flexibilité, mais sans cette dernière, nous sommes obligés des fois de dire non à des opportunités d’emploi, à couper court dans des sorties ou dans des heures d’études à la bibliothèque, parce que le transport pourrait quitter sans toi,» renchérit Laurence Parent, cofondatrice avec Mme Veilleux du collectif Québec Accessible. «On nous rabat les oreilles en nous disant que le métro est si important pour les habitant-es de Montréal, alors pourquoi reste-t-il inaccessible pour nous?»