Après les lettres aux jeunes politiciens (Lucien Bouchard), cinéastes (Micheline Lanctôt) et chefs (Jérôme Ferrer) — l’ex-député péquiste Martin Lemay a même écrit à un «jeune gauchiste» chez un autre éditeur —, les jeunes journalistes ont droit à leur propre correspondance, signée de la plume aussi lucide que fluide de Josée Boileau.

À première vue, le livre semble un exercice à mi-chemin entre un condensé de journalisme 101 et une brève leçon d’histoire de la profession au Québec à travers l’expérience de l’auteure, dont le point de vue est façonné et enrichi par trois décennies de carrière en presse écrite, à la radio et à la télé. Josée Boileau insiste pour parler aussi, surtout, d’un «partage», d’une «transmission de connaissances à une jeune journaliste en début de carrière». «Mais l’ouvrage s’adresse aussi au public en général», précise-t-elle.

Attablée dans un café de la rue Bernard, elle poursuit volontiers sa réflexion sur l’état du «chien de garde de la démocratie» avec une passion qu’elle ne saurait dissimuler.

La place des femmes

«Dès mon entrée dans le métier, je me suis pour ma part plongée dans ce qui me passionnait depuis toujours; le dossier de la condition féminine – un sujet facile à faire mousser vu le grand nombre de magazines s’adressant aux femmes, à l’époque comme aujourd’hui», raconte dans son livre celle qui a débuté sa carrière en 1985, deux ans avant la disparition du mythique magazine féministe La vie en rose.

La sensibilité de l’auteure pour la place trop petite laissée aux femmes dans le domaine explique le choix d’adresser cette correspondance à sens unique à une jeune femme — un choix délibéré de l’auteure qui permet, en même temps, de renverser une norme sociale qui place d’emblée les hommes en avant et se révèle éclairant, du moins pour l’auteur de ces lignes. Elle consacre une partie de son livre à marteler l’importance de se battre pour que soient publiés des articles sur des sujets touchants particulièrement les femmes.

«Dans les années 80, en dehors des magazines féminins, mes sujets sur la condition féminine exaspéraient la plupart de mes patrons, qui les bloquaient carrément ou minimisaient leur importance, peu importe le média», écrit-elle dans le livre. «Le même raisonnement s’appliquait aux sujets de reportages touchant spécifiquement les femmes. La féministe en moi ne se possédait plus devant ce genre de stagnation!»

«Dans les années 80, en dehors des magazines féminins, mes sujets sur la condition féminine exaspéraient la plupart de mes patrons, qui les bloquaient carrément ou minimisaient leur importance, peu importe le média»

L’importance du journalisme indépendant

Trente ans de carrière ne seront pas venus à bout de l’idéalisme de Josée Boileau, malgré un réalisme qui lui permet de bien cerner les problèmes qui ont affecté le journalisme d’hier comme celui d’aujourd’hui. Concernant le journalisme indépendant, elle salue l’émergence de nouveaux médias qui ont vu le jour au Québec au cours des cinq dernières années, accordant une mention spéciale à Planète F, fondé par deux jeunes femmes journalistes, Mariève Paradis et Sarah Poulin-Chartrand.

L’essentiel de son propos touche le domaine des médias plus traditionnels. «Comme je m’adresse à une jeune journaliste à ses débuts, je devais ratisser assez large et garder en tête que cette jeune femme cherche à faire carrière», explique-t-elle. Ce qui ne l’empêche pas d’affectionner un journalisme plus indépendant et plus engagé — malgré sa place au firmament du mainstream québécois, Le Devoir se démarque du lot par un traitement de la nouvelle moins conventionnel que ses concurrents. «J’ai un faible pour l’engagement», poursuit-elle, citant des revues comme Liberté et Relations comme exemples.

«J’aime aussi beaucoup ce que fait Mediapart en France. Ils ont osé quelque chose d’audacieux. Je n’y croyais pas beaucoup au début, mais ils ont relevé le défi. C’est un média qui réussit à sortir des nouvelles explosives, et dirigé par quelqu’un d’exceptionnel (Edwy Plenel, ex-rédacteur en chef du Monde, NDLR)», dit-elle, même si elle demeure généralement «classique» dans son choix de sources d’information.

Concernant la neutralité journalistique, elle reconnaît qu’elle n’est pas exempte de pièges. «On voit ce que ça donne actuellement aux États-Unis, quand on met sur le même pied d’égalité madame Clinton et monsieur Trump», explique-t-elle.

Le combat d’une nouvelle génération

Chaque génération de journalistes livre ses propres combats, précise l’ancienne patronne de presse qui a tenu les rênes de la salle de rédaction du vénérable quotidien de la rue Bleury de 2009 à 2016. De tout temps, les médias ont dû faire face à une multitude de crises et de mutations — concentration de la propriété, convergence, baisse des revenus, écroulement des modèles d’affaires, bouleversements technologiques. L’arrivée de nouvelles technologies est bienvenue, mais ne doit pas prendre toute la place, selon Boileau. «Twitter, c’est bien, mais je ne suis pas convaincue que c’est bien utilisé actuellement. Et quand survient un évènement [les réseaux sociaux] sont d’excellents outils. Mais on a quand même besoin de quelqu’un en arrière qui fait le travail de profondeur», explique-t-elle. «On ne doit jamais oublier de placer l’humain au centre de la nouvelle».

«Twitter, c’est bien, mais je ne suis pas convaincue que c’est bien utilisé actuellement. Et quand survient un évènement [les réseaux sociaux] sont d’excellents outils. Mais on a quand même besoin de quelqu’un en arrière qui fait le travail de profondeur»

Selon elle, l’arrivée massive du «marketing de contenu», ces publicités déguisées en articles journalistiques, représente le combat de la génération montante.

L’horizon reste gris pour le journalisme alors qu’il traverse actuellement une autre crise, mais pas dénué d’espoir. Il n’en tient qu’à cette génération de porter le flambeau que leur tend Josée Boileau. Une génération où, le souhaite l’auteure, les femmes prendront davantage leur place.

Gracieuseté
Lettres à une jeune journaliste, VLB éditeur, disponible partout en librairie.