Assis au seul bar près du Econo Lodge de Florence, en Caroline du Sud, la télé fait jouer le débat des vice-présidents. Un ou deux autres clients qui ne portent guère d’intérêt à la discussion qui, il faut bien le dire, ne passera pas à l’Histoire. Nous nous étions assurés en après-midi avec le gérant, qui nous avait promis une diffusion avec du son. C’est là que Humayra – May pour tout le monde – nous sert notre première bière, avant de venir se poser au bar où elle a bien envie de regarder le débat, elle aussi.
C’est un manque de substance qui ressort du débat entre les candidats Mike Pence et Tim Kaine. May nous parle en français. «C’est juste à propos de Trump. Trump, Trump, Trump, sans arrêt. Kaine passe tellement de temps à le dénigrer qu’il ne se donne pas l’occasion de me convaincre de voter pour Hillary.»
Les yeux rivés sur l’écran, le son du débat s’entremêle avec celui des autres télévisions et tantôt la voix de Britney Spears, tantôt celle des Red Hot Chili Pepers. L’attention ne manque pas, mais l’intérêt diminue. Si Mike Pence semble parfois se mordre les lèvres pour ne pas dire ce qu’il pense vraiment de Donald Trump; Tim Kaine, lui s’en donne à cœur joie.
Les regards se détournent tranquillement de l’écran et la discussion démarre. Si elle voulait écouter ce que les potentiels vice-présidents avaient à dire, May affirme avoir bien plus hâte au deuxième débat entre les vrais candidats. Elle raconte étudier la politique à l’Université Francis Marion à Columbia, en Caroline du Sud. Mais le débat se termine et il est déjà tard. Elle nous invite à prendre le café chez elle, le lendemain matin, pour continuer la discussion.
Prise 2
«J’ai toujours eu un intérêt pour les langues. Je suis née à Philadelphie dans une communauté musulmane et la culture arabe était très présente. J’ai ensuite découvert le français en regardant la télévision.» Après sa première année d’université, elle s’est enrôlée pour le programme de Nounou, pour passer du temps en France et y apprendre la langue.
Elle a ensuite repris ses études en science politique. Elle affirme trouver difficile de côtoyer ce qu’elle appelle sans se gêner des rednecks. «Un garçon m’énerve en particulier. Il porte, au moins deux fois par semaine, son chandail « Vote for Trump, not for Tramp! » (Votez pour Trump, pas pour la pute!). Il dit que ce n’est pas méchant, que c’est parce qu’il aime Trump, mais il ne voit pas à quel point ça peut être offensant.»
Elle a une relation d’amour/haine avec la politique. Elle est passionnée par le sujet, mais comme l’a montré le son manque d’intérêt pendant le débat de la veille, elle trouve aussi que la politique est triste et beige. Le débat entre Pence et Kaine l’a ennuyée, puisqu’il n’était question que de Donald Trump. L’étudiante a bien plus hâte au prochain affrontement, dimanche. «Le premier débat était drôlement divertissant. J’espère que Clinton va réussir me convaincre qu’elle sera une bonne présidente.» Puis, c’est du bout des lèvres qu’elle ajoute : «Je crois bien que je vais voter pour elle.»
May ne peut tout simplement pas se résoudre à donner sa voix au milliardaire qui ne paye pas d’impôts. En tant qu’Afro-Américaine, elle considère qu’un vote pour M. Trump serait un recul pour tous les droits acquis. «Avec elle, les choses vont rester exactement comme elles sont. Avec lui, les choses vont changer drastiquement, mais pas pour le mieux.»
Mais que pourrait faire Hillary Clinton pour la convaincre? «Ah mais beaucoup de choses! Elle pourrait s’intéresser un peu plus aux enjeux environnementaux, premièrement. C’est beau de dire qu’il faut avoir une économie et des industries, mais si on n’a plus de planète où les mettre, à quoi ça sert?» May ajoute que pour elle, Hillary Clinton pourrait être plus honnête. Elle n’entend pas par là les histoires qui font les manchettes, mais parle de la base même des idées de la candidate démocrate. «Elle dit vouloir améliorer l’environnement et se débarrasser des grosses corporations, mais il faut être réaliste! Elle sait très bien ne pas pouvoir faire sans celles-ci. On vit dans une oligarchie, pas dans une démocratie.»
Best case scenario?
Si on lui donnait le choix sur l’issue de la campagne, May a sa petite idée : «Hillary irait en prison. Trump tomberait malade et laisserait tomber la course. C’est horrible de dire ça je trouve…» Pour elle, c’est Jill Stein qui, dans le meilleur des mondes, gagnerait la course à la Maison-Blanche.
La jeune femme n’est pas naïve toutefois. Elle sait que les politiques proposées par la chef du Parti vert américain sont trop drastiques. «Il faudrait que Jill Stein se réveille! Qu’elle se rende compte que c’est bien trop cher de réaliser tout ce qu’elle propose. Elle pourrait faire des compromis et au moins faire avancer certaines causes.»
Bernie Sanders aurait-il fait un meilleur travail? Ou Joe Biden? May n’en sait rien. Oui, Bernie Sanders aurait pu apporter un changement drastique vers le mieux, dit-elle, mais pas en imitant le socialisme des pays nordiques. «On est tellement arrogants en tant qu’Américain de se dire qu’on peut simplement faire comme les autres et d’adapter ça à notre sauce. C’est arrogant de se dire que parce que le socialisme fonctionne à un endroit, ça fonctionnera automatiquement ici.»
La provocation
La jeune afro-américaine de 24 ans en est à sa première élection. Une expérience pour le moins spéciale, bien loin de l’historique Yes we can de 2008 ou du Four more years de 2012. Une ambiance électorale tout sauf inspirante pour la représentante des milléniaux, qui sont tirés d’un côté comme de l’autre depuis le début de la campagne.
May revient à l’histoire de son collègue et de son t-shirt. Les jeunes sont très sollicités dans cette élection, mais peu écoutés. La provocation est une réponse qu’apportent plusieurs à ce sentiment d’être ignorés. L’éducation y est pour beaucoup dans cette provocation souvent gratuite, estime May. Beaucoup voient et portent des symboles sans comprendre ce qu’ils représentent.
Les drapeaux confédérés, omniprésents dans le sud, illustrent bien cette idée. «Un drapeau confédéré, ça indique simplement la southern pride (la fierté d’habiter le sud des États-Unis). Tous ne sont pas nécessairement de méchants racistes. Mais c’est blessant pour moi. Ils oublient l’histoire d’esclavage derrière ce drapeau, et c’est ça qui est dangereux.»
L’éducation ne vient pas de l’école seulement, analyse May. La famille, la culture dans laquelle un individu peut vivre va contribuer à son éducation. «En tant qu’Afro-Américaine, j’ai eu une éducation qui m’a amené à me méfier des policiers et de ce genre de source d’autorité.»
Dans le cadre d’un cours sur les implications légales en science politique, un professeur a prescrit à tous ses étudiant-es un stage d’observation avec une patrouille de police. L’idée était de donner une perspective allant au-delà des erreurs commises et rapportées dans les médias. May s’est réjouie de cette journée lui ayant permis de voir plus loin que sa propre éducation.
Après avoir terminé ses études, May a l’intention de voyager encore. Les Peace Corps (Corps de la Paix) l’intéressent. Avec le programme de volontaires à l’étranger, elle pourrait aller au Madagascar? Ou le Maroc… ou le Canada!
«Les Canadien-nes payent des taxes comme des débiles, mais au moins vous avez les services qui viennent avec. J’aimerais beaucoup y emmener ma mère et mon neveu», termine-t-elle en pointant du menton le jeune garçon qui joue dans le salon.