En réaction à ce rapport, Philippe Couillard, qui ces jours-ci se fait poète en espérant peut-être paraître plus humain, a tenu des propos surréalistes. Selon lui, le «discours sur les personnes vulnérables» ne serait «que du vent», il ne voudrait «rien dire pour la population».
On a envie de répliquer que c’est plutôt l’idée que Philippe Couillard se fait du mot «population» qui semble dénuée de sens. Mais plus sérieusement, pour ceux et celles qui se trouvent au bas de l’échelle sociale, dont la voix se fait à peine entendre, les conséquences de l’étrange jeu de mystification que joue le premier ministre sont catastrophiques.
Bien sûr, il est facile d’affirmer n’importe quoi au sujet des préoccupations des gens vulnérables lorsque ceux-ci sont silencieux, pratiquement invisibles, et relégués pour l’essentiel en marge de la vie démocratique. Mais de façon plus générale, il est inquiétant de voir un gouvernement s’employer avec acharnement à nier l’existence de tout lien entre ses politiques et la vie des citoyen-ne-s.
L’austérité n’a eu aucune conséquence, répète-t-on. À la longue, l’exercice démocratique finit par ressembler à une mauvaise farce. Après tout, s’il n’y a aucun rapport entre les politiques économiques que l’on applique et les conditions de vie des gens – qui d’ailleurs se détériorent sans cesse – pourquoi prendre la peine de solliciter leur avis? C’est une exagération, certes, mais lorsqu’on voit toutes les études, les statistiques et les rapports faisant état des conséquences de l’austérité être balayés du revers par les libéraux, on se demande si les préoccupations des citoyen-ne-s les intéressent vraiment…
Évidemment, plus l’on se trouve du côté dominant de l’espace social, plus il est facile de s’abstraire du lien qui existe entre la vie et la politique. Or, pour les plus vulnérables de la société, ce lien est si étroit que les variations des politiques publiques dictent littéralement le rythme de la vie. Philippe Couillard nous dit que ce raisonnement n’a aucun sens. Pourtant, les effets de l’austérité sont souvent si concrets qu’il n’est pas nécessaire de leur chercher un sens : il s’impose. C’est la maladie qui dégénère parce qu’on n’a pas eu un rendez-vous médical à temps. C’est le chèque d’aide sociale devenu si maigre qu’il faut choisir entre la facture d’électricité et l’épicerie. Pour beaucoup de gens, les effets de la politique ébranlent ce qui est essentiel. Ils se rattachent à la survie.
Le gouvernement s’évertue à répéter qu’il se soucie des personnes vulnérables. Or si l’on regarde les actions qu’il pose, on doit conclure que ce souci ne dépasse pas la charité et la bienveillance condescendante. Comme s’il suffisait au fond d’être «gentil» avec les pauvres pour faire la preuve que l’on gouverne de manière juste et équitable. Mais ce dont les Québécois-e-s ont besoin, surtout les plus vulnérables, c’est surtout que ceux et celles qui nous dirigent soient imputables des décisions qui rendent la vie intenable. Ils doivent cesser de prétendre qu’il n’existe rien de concret, rien de réel, au-delà de l’horizon de la dette publique que l’on agite sans cesse comme un épouvantail.