Malgré l’appui des régions les plus affectées, de la communauté internationale et de près de 50% de la population colombienne, les Accords n’ont pas réussi à passer le test référendaire. D’ailleurs, le président Juan Manuel Santos n’avait pas besoin d’imposer une sanction populaire pour que l’entrée en vigueur des Accords puisse s’effectuer. Mais après quatre ans de négociations fermées à la Havane, il a estimé plus juste de laisser le dernier mot à la collectivité.
Ces événements laissent le pays dans une période d’incertitude politique. Concrètement, si le «Oui» l’emportait, les membres actifs des FARC devaient accepter d’être transférés dans différentes zones de démobilisation où ils et elles acceptaient de remettre leurs armes au gouvernement colombien. Le cessez-le-feu qui avait commencé le 29 août 2016 demeure, malgré que l’entrée en vigueur légale des Accords de paix n’était possible que si le texte était adopté par vote populaire le 2 octobre. On ne s’attendait pas à ce que le «Non» l’emporte. D’ailleurs, l’absence de plan B en cas de défaite du «Oui» représente l’une des plus graves erreurs du président et son équipe. Lorsqu’il s’est présenté devant les caméras hier pour reconnaître la défaite, il n’a pas eu d’autre choix que d’inviter toutes les forces politiques à la table de discussion, afin d’entamer une nouvelle ronde de négociations nationales pour trouver une solution qui serait présentée aux Colombiens rapidement.
Une campagne chargée d’émotion et de démagogie
Pendant la campagne, les débats ont été chargés d’émotion et de démagogie. Le camp du «Non» a accusé le gouvernement colombien d’amener le pays vers un régime socialiste aux saveurs vénézuéliennes qui serait dirigé, en cas de victoire du «Oui», par le chef des FARC Timoshenko et ses ami.e.s. De plus, on a vivement critiqué la création du Système intégral de vérité et de justice, Réparation et non Récidive (SIVJRNR). Il s’agissait, pour certains d’une forme d’amnistie et d’une sortie facile pour les «terroristes des FARC». D’ailleurs, le fait de voir Timoshenko se promener librement comme une vedette dans les rues de Carthagène des Indes, lors de la cérémonie protocolaire de la signature des Accords de paix, a causé beaucoup de désarroi et de frustration. Il n’est pas exclu que certains indécis aient été amenés à rejeter la proposition après avoir assisté à cet étonnant spectacle. Bref, le président colombien a été jugé excessivement généreux envers les FARC et insensible envers les victimes. Deux autres points ont été vivement dénoncés par les partisans du «Non» Tout d’abord, le fait que ce groupe armé se transformerait en un mouvement politique ayant droit à dix sièges dans la Chambre des représentants. Puis, le droit à une allocation financière s’approchant du salaire minimum colombien pour les ex-combattant.e.s de la plus importante guérilla en Amérique Latine.
Ironiquement, les régions les plus affectées par la guerre se sont prononcées en faveur du «Oui». Dans le département du Choco, l’un des plus sanglants affrontements a eu lieu entre les FARC et les paramilitaires en 2002. Ce combat a laissé plus de 70 morts à l’intérieur d’une église. Toutefois, cela n’a pas empêché que 96% des citoyens et citoyennes de la région votent en faveur des Accords. Même dans la région où se sont tenues les négociations entre les FARC et l’ancien gouvernement du président conservateur Andres Pastrana, en 1998, le «Oui» a été plus populaire que le «Non».
La victoire du «Non» est aussi le résultat d’un grand nombre de facteurs qu’on ne peut que rapidement énumérer ici. Tout d’abord, le président Santos manque de popularité. Au mois de mai, d’après un sondage réalisé par la firme Gallup, Santos obtient seulement l’appui de 21% de la population. Le taux d’abstention élevé est aussi une source de découragement: plus de 60% de la population a décidé de ne pas participer à l’exercice référendaire. Ce résultat semble indiquer un manque d’intérêt de la part de la population vis-à-vis des Accords. Néanmoins, des raisons climatiques ont aussi fait croître le taux d’abstention hier. Le passage de l’ouragan Matthew a forcé la fermeture de plusieurs bureaux de vote dans le nord du pays.
Une population divisée
La première conclusion à tirer à la suite de la victoire du «Non», c’est que le processus de réconciliation entre colombiens et colombiennes sera difficile. Un demi-siècle de guerre ne s’efface pas du jour au lendemain. Malgré un taux d’abstention assez significatif, le pays demeure divisé et incapable de s’entendre sur les moyens qu’il faut mettre de l’avant afin d’arriver à la fin d’un conflit qui ne se résume pas qu’aux armes. Il est évident que la Colombie est en conflit avec ses propres traumatismes. On n’arrive toujours pas à s’imaginer un pays en paix. Les souvenirs ensanglantés, les abus du pouvoir et la crainte de se tromper à nouveau hantent l’imaginaire des électeurs et électrices qui se sont présentés aux urnes dimanche passé.
La deuxième réflexion qu’on peut avancer concerne l’état de la gauche. La crainte non fondée du virage «castro-chaviste» impulsée par la possibilité de voir les chefs des FARC fonder un nouveau parti politique a également provoqué beaucoup de critiques de la part d’une importante partie de la population. Finalement, le vote référendaire prouve que l’image négative des FARC perdure et que la fin du conflit risque de prendre plus de temps prévu. L’entrée en scène des nouveaux joueurs, plus à droite et plus proches de l’ancien président Alvaro Uribe, risque de provoquer certains changements inattendus, surtout en ce qui concerne les procès judiciaires des anciens combattants des FARC. Les forces de gauche du pays sortent affaiblies de cet épisode.
Dans son livre, Mémoire de mes putains tristes, Gabriel Garcia Marquez avait affirmé que «la force invisible qui mène le monde, ce ne sont pas les amours heureuses, mais les amours contrariées». Espérons que ce principe s’appliquera aux futures négociations de paix et que les divisions palpables confirmées par le référendum de dimanche dernier finissent par nous faire avancer.