On se souviendra qu’en 2012, en toute méconnaissance du système de points, il s’était scandalisé qu’un immigrant chinois connaissant le français et un immigrant de Bordeaux soient traités à égalité, laissant entendre que le second vaut nécessairement plus que le premier. Hier, plusieurs médias ont relevé que le candidat proposait que le Québec se tourne vers la «meilleure immigration possible» ou «l’immigration parfaite», c’est-à-dire des travailleurs recrutés à «Paris, Bruxelles et Barcelone» qui répondent «exactement à la demande d’emploi» et qui, notamment grâce à l’aide fournie pour leur établissement, sont «immédiatement intégrés». Des immigrant-e-s francophones hors-Europe pourraient aussi être retenu-e-s, mais ils et elles semblent appartenir à l’immigration «imparfaite». Même s’il a parlé d’une immigration francophone des quatre coins du monde, ces propos demeurent problématiques puisqu’ils contribuent à renforcer la croyance selon laquelle il existerait différentes classes d’immigrant-e-s, les plus préférables étant celles et ceux qui partagent avec la majorité le fait d’être d’origine européenne.

Deux arguments sont mobilisés pour soutenir une refonte de la politique d’immigration impliquant une baisse du nombre d’admissions et une préférence pour le recrutement en Europe. Premièrement, l’économie québécoise n’aurait pas besoin de l’immigration. Deuxièmement, il ne veut plus voir le Québec «briser des vies d’immigrants», ces derniers se trouvant trop souvent dans des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. La solution serait donc une réduction de l’immigration, légitimée en la faisant paraître bénéfique pour les immigrant-e-s. Non, l’immigration n’est pas une panacée pour l’économie et, oui, les immigrant-e-s occidentaux et particulièrement celles et ceux n’appartenant pas à une minorité racialisée ont plus de facilité dans leur insertion socioprofessionnelle. Or, conclure à une nécessaire réduction de l’immigration et à une valorisation des admissions en provenance d’Europe revient à abdiquer face aux inégalités structurelles sur le marché du travail. Il s’agit d’une orientation politique qui n’est pas justifiée par les travaux sur ces enjeux.

Ce que disent «les études»

D’abord, le Québec reçoit annuellement environ 50 000 immigrant-e-s permanent-e-s, dont les deux tiers font partie de l’immigration économique. En 2011, 12,6% de la population québécoise était immigrante et seulement 14,4% de tou-te-s les immigrant-e-s au Canada vivaient au Québec, ce qui est nettement inférieur au poids démographique de la province au sein du pays, d’ailleurs en constant déclin (23,6%). Les propos de Lisée donnent à penser à la population que les immigrant-e-s ne sont pas sélectionné-e-s en fonction de leurs compétences. Hors, non seulement ils et elles sont nettement plus scolarisé-e-s que la population native, mais la politique d’immigration québécoise a subi au cours des dernières années plusieurs modifications afin d’augmenter la valeur des points alloués à la connaissance du français et d’arrimer l’immigration aux besoins du marché du travail, sans compter la transformation en profondeur annoncée en mars dernier et suivant le modèle de la déclaration d’intérêts où les employeur-euse-s auront un rôle de premier plan.

Il serait pour le moins étonnant qu’un apport annuel de l’ordre 0,6% de la population ait un impact majeur sur l’économie québécoise. Les études menées au sein de l’OCDE arrivent effectivement à la conclusion que l’immigration a un impact limité sur les finances publiques, plus souvent positif que négatif et que l’immigration stimule l’innovation (Kerr et Kerr, 2011 ; Card, 2012 ; OCDE, 2013 ; Javdani et Pendakur, 2014 ; Zhu, 2014). Il n’existe toutefois pas de méthode pour mesurer l’impact sur le long terme puisqu’on ne peut prédire les résultats à venir des immigrant-e-s et encore moins ceux de leurs enfants. Lisée dit s’appuyer sur l’étude de 2014 du Cirano. Or, les auteurs soulignent eux aussi que l’immigration contribue d’une façon faible, mais positive à l’économie et recommandent donc de ne pas réduire le nombre d’admissions (Boudarbat et Grenier, 2014). Si l’impact est limité, mais positif, pourquoi vouloir réduire l’immigration?

Si l’on est vraiment préoccupé par le fait que des vies soient effectivement brisées, il vaut mieux travailler à lutter contre les obstacles à une insertion socioprofessionnelle équitable.

Ce que disent aussi les études, c’est que l’apport bénéfique de l’immigration est limité par les résultats actuels sur le marché du travail où les individus appartenant à une minorité racialisée sont désavantagés. Ce serait faire un triste raccourci que de faire référence aux difficultés de ces derniers pour légitimer une politique de réduction de l’immigration et de préférence pour le recrutement européen. Si l’on est vraiment préoccupé par le fait que des vies soient effectivement brisées, il vaut mieux travailler à lutter contre les obstacles à une insertion socioprofessionnelle équitable. De nombreuses études montrent que les écarts entre natif-ve-s et immigrant-e-s sur le marché du travail sont plus importants au Québec quand dans les autres provinces canadiennes (Zietsma, 2007 ; Boudarbat et Boulet, 2010 ; IRIS, 2012 ; Boudarbat et Connolly, 2013 ; Boudarbat et Grenier, 2014 ; Boulet, 2016). Cela devrait nous stimuler, non pas à réduire l’immigration en ciblant les Européens, mais à travailler pour niveler cet écart.
La littérature montre bien qu’au-delà de l’accès au marché du travail, les personnes immigrantes sont nettement plus susceptibles d’être surqualifiées, c’est-à-dire d’occuper un emploi en deçà de leurs compétences et les risques augmentent en fonction de l’appartenance à une minorité racialisée et au genre féminin (Galarneau et Morissette, 2008 ; Chicha, 2009 ; Plante, 2010 ; Boulet, 2012). Lisée fait l’erreur de tenir pour acquis que les inégalités entre immigrant-e-s européen-ne-s et non-européen-n-es sont le reflet d’une inégalité de compétences. Dans les faits, les différences dans les caractéristiques individuelles (niveau de scolarité, profession, langue maternelle, etc.) entre les membres des deux groupes n’expliquent que très peu des écarts, la forte majorité de l’explication venant plutôt de l’évaluation qu’en font les employeur-euse-s (Zhu et Aboubacar, 2014). La région d’origine des immigrant-e-s est un facteur déterminant de leurs résultats sur le marché du travail. À niveau de scolarité égale, celles et ceux venant de pays du Sud sont largement désavantagé-e-s. Or, la dévaluation des compétences comme la reconnaissance des diplômes des immigrant-e-s ne devrait pas être une fatalité. Et ici encore, il est désolant de voir que le rendement des diplômes d’universités non-occidentales soit inférieur au Québec et que l’écart entre le taux de surqualification des natif-ve-s et des immigrant-e-s est plus important ici qu’en Ontario et en Colombie-Britannique (Boulet, 2016). Un biais stigmatisant semble donc trop répandu à l’endroit des immigrants originaires du Sud, un biais d’ailleurs légitimé lorsque des politiciens laissent entendre que seulement certain-e-s immigrant-e-s sont «immédiatement intégrés».

Faire fi des barrières structurelles

Lisée dit vouloir retenir les immigrants racialisés qui obtiendront un diplôme québécois. Certes, un diplôme local favorise l’insertion socioprofessionnelle, mais cela n’est pas une solution à la discrimination. Les compétences seules ne peuvent expliquer le fait que, même au sein des diplômés du Québec, l’appartenance à une minorité racialisée augmente le risque d’être en situation de surqualification (Boudarbat et Montmarquette, 2013). Même parmi les bilingues, les personnes originaires de l’extérieur de l’Occident sont désavantagées sur le marché du travail (Zhu et Bélanger, 2010). Faire preuve de courage politique serait donc d’appeler à lutter de front contre le fait que l’origine d’un individu lui empêche de jouir des mêmes chances que celles d’un blanc canadien-français. Les études canadiennes et québécoises qui nous invitent à considérer sérieusement la discrimination comme facteur explicatif des inégalités racialisées sur le dont sont nombreuses (Oreopoulos, 2011, Boudarbat, 2011 ; Li, 2013 ; Pendakur et Pendakur, 2012 ; Boulet, 2013 ; Zhu et Aboubacar, 2014). Comme l’a bien démontré une étude de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse en 2012, la discrimination à l’endroit des travailleurs et travailleuses racialisé-e-s est bien présente sur le marché du travail. Après avoir envoyé des paires de CV fictifs où les candidats sont diplômés d’universités montréalaises, l’étude conclut que, «à profil et à qualifications égales, un Tremblay ou un Bélanger a au moins 60 % plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche qu’un Sanchez, un Ben Saïd ou un Traoré» (CDPDJ, 2012). Cela n’est qu’un aspect de la situation de discrimination systémique qui touche les immigrant-e-s racialisé-e-s. On n’a qu’à penser aux barrières structurelles que représentent certains ordres professionnels et au mode de recrutement informel par réseau, qui favorise les membres du groupe majoritaire et bloque l’accès à une expérience de travail locale.

Faire preuve de courage politique serait donc d’appeler à lutter de front contre le fait que l’origine d’un individu lui empêche de jouir des mêmes chances que celles d’un blanc canadien-français.

Tout cela nous mène à douter du fait que les propositions de Lisée soient véritablement le fait d’un souci pour l’économie québécoise et du bien-être des populations immigrantes elles-mêmes. Une fois que l’on voit que les arguments économiques mobilisés sont aussi peu solides, on est en mesure de comprendre le projet politique identitaire conservateur qui motive ces propos. Non seulement ces derniers n’apportent aucune solution à la situation de discrimination socioéconomique des Québécois-e-s appartenant à une minorité racialisée, mais ils laissent entendre qu’ils et elles auraient mieux fait de rester dans leur pays d’origine puisque, au final, ce n’est pas que des barrières structurelles se dressent devant eux et elles, mais bien qu’ils et elles sont des immigrant-e-s imparfait-e-s.

Mathieu Forcier est étudiant au doctorat en sociologie à l’Université de Montréal. Il s’intéresse principalement à la question de l’immigration.