Trump l’enragé

Pour n’importe quel autre candidat, une seule des nombreuses déclarations impulsives de Donald Trump aurait signé, au cours des 15 derniers mois, la fin de la campagne, la désertion des partisan-es et un abandon de la course. Ce qui aurait été considéré comme une grave erreur ou une affirmation maladroite pour Ted Cruz ou Marco Rubio est pratiquement devenue la marque de commerce de Donald Trump. Il a en quelque sorte «démocratisé» l’insulte.

La thèse soutenue par bien des observateurs, dont le documentariste engagé Michael Moore ou le journaliste américain Ezra Klein, est que Trump a attiré une toute nouvelle frange de la société américaine.L’électeur surnommé «The angry white man» (l’homme blanc fâché) voit en Donald Trump un sauveur de l’Amérique. Pas étonnant que le slogan «Make America Great Again» parle directement à ce nouvel électorat. Ce dernier voit dans les huit dernières années une destruction des valeurs américaines et dans le «Obamacare», un virage vers le socialisme qui ressuscite (presque) une peur datant de la guerre froide.

L’électeur surnommé «The angry white man» (l’homme blanc fâché) voit en Donald Trump un sauveur de l’Amérique.

Christophe Cloutier, chercheur à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, met un bémol sur cette théorie. «Il est vrai que le Parti républicain est un parti d’hommes blancs, et que Trump vient soulever l’animosité des Latino-Américain-es, des Afro-Américain-es, des femmes, et qu’il ne fait absolument rien pour aller chercher ces votes-là, mais il est encore très tôt pour dire que ce ne seront que des « hommes blancs fâchés » qui décideront qui va entrer à la Maison-Blanche».

Le chercheur admet toutefois qu’il est impressionnant de voir que beaucoup de ces «Angry white men» sont des gens qui normalement ne votent pas lors des primaires. Trump a, en quelque sorte, réveillé cette partie de l’électorat républicain. «C’est quelque chose qui a pris l’ »establishment » du parti par surprise et qui a joué contre ce dernier quand les républicains se sont rendu compte que Trump allait vraiment gagner.»

Trump, le politicien

Notons qu’au cours de la dernière année, les deux partis américains ont eu un parcours bien différent. Démocrates et républicains avaient chacun leur candidat-e désigné-e. Hillary Clinton était considérée depuis très longtemps comme la prochaine qui s’emparerait du titre de POTUS (President of the United States).

Du côté républicain, un nombre important de candidats «normaux» étaient en lice avant que Trump ne fasse son entrée fracassante. Bush, Rubio et Cruz auraient tous pu l’emporter. La course à l’investiture démocrate a aussi vu un candidat surprise entrer en scène. Le socialiste Bernie Sanders a mené une chaude lutte à Hillary, pratiquement jusqu’à la convention nationale. On a compris que les cartes étaient jouées d’avance quand sont sortis au grand jour les fameux courriels dévoilant que l’«establishment» du Parti démocrate s’était entendu pour écarter M. Sanders.
Ce sont en fin de compte les super-délégués qui se sont ligués contre le socialiste.

La course à l’investiture démocrate a aussi vu un candidat surprise entrer en scène. Le socialiste Bernie Sanders a mené une chaude lutte à Hillary, pratiquement jusqu’à la convention nationale.

Alors que ces révélations menaient à la démission de la présidente du parti, Debbie Wasserman Shultz, pourquoi les républicains n’ont pas eux aussi organisé la défaite de leur candidat indésirable? Christophe Cloutier explique tout d’abord que les mécanismes de garde-fous qui existent au parti démocrate ne sont pas présents au parti républicain. Les républicains ne pouvaient pas simplement écarter Donald Trump du revers de la main. «Dès le départ, les super-délégués ont donné une avance importante à Hillary Clinton, ce qui n’était pas le cas pour les candidats du parti républicain, puisqu’il n’y a pas de super-délégués.»

M. Cloutier met l’accent sur le fait que ces mécanismes sont présents dans le processus des primaires démocrates pour la simple raison qu’ils ont déjà eu à s’organiser avec des candidats nuisibles. «Comme en 1972, avec le sénateur George Mcgovern et en 1980, avec Ted Kennedy, qui avait lancé un défi au Président en exercice, Jimmy Carter. Ce sont vraiment de mauvaises expériences qui ont mené le parti démocrate à mettre en place le système de super-délégués.»

Selon le chercheur, ce genre de mauvaise surprise n’arrive pas en temps normal au «Grand Old Party.» «On dit des républicains qu’ils sont dans un parti très discipliné, qu’on peut prédire quatre ans à l’avance qui sera le prochain candidat, et que c’est celui-là qui obtient la nomination; comme McCain en 2008 et Romney en 2012.»

Les républicains n’avaient donc pas du tout prévu l’arrivée tonitruante de Donald Trump. «Il s’agit vraiment d’une aberration cette année», laisse entendre M. Cloutier.

Trump déchu?

La popularité du candidat américain est maintenant en chute libre. Ses déclarations sur la famille d’un soldat musulman mort au combat lui ont fait mal. Le 11 août, il en rajoutait en affirmant que le président Obama était le fondateur du groupe armé État islamique.

Depuis, ses organisateurs de campagne tentent de le contrôler. Mais le parti n’aurait pas complètement jeté l’éponge. On peut maintenant observer que Donald Trump utilise le téléprompteur plus régulièrement et qu’il improvise moins. «Bonne nouvelle!» ont dû se dire les têtes républicaines.

On peut maintenant observer que Donald Trump utilise le téléprompteur plus régulièrement et qu’il improvise moins.

Probablement dans le but de rallier les républicains plus modérés, il a même nuancé sa promesse de «mettre à la porte» les gens qui résident illégalement aux États-Unis. Selon le New York Times, il a affirmé être ouvert à laisser certains d’entre eux rester au pays conditionnellement à ce qu’ils paient des taxes de manière rétroactive.

Cette position, résume le NYT, ira peut-être chercher les électeurs et électrices qui sont encore indécis-es, mais lui fera, du même coup, perdre la confiance de l’électorat qu’il a réveillé lors des primaires avec ses déclarations incendiaires. Sa «nouvelle» position sur l’immigration, en étant proche de celle défendue par ses anciens adversaires au moment des primaires (et même celle de Barack Obama), le place donc dans l’embarras.

Christophe Cloutier estime que si le «désastre Donald Trump» mène les républicains à une cuisante défaite, la tentation sera très forte pour ces derniers d’instaurer des mécanismes de défense tels que les super-délégués. Il ajoute toutefois qu’il sera très difficile pour le parti de vendre une telle chose à son électorat. «L’idée, c’est de savoir ce qu’il voudra. Peut-être que les démocrates seront égalés à la Maison-Blanche, mais si les républicains contrôlent les deux chambres, ils auront beaucoup de pouvoir. Peut-être vont-ils se contenter de ça.»