On connaît la chanson. Nous n’aurions «plus les moyens» de nous payer les services publics hérités de la Révolution tranquille et nous serions contraint.e.s de renoncer à leurs apports déjà bien imparfaits. À ce discours sirupeux, il faudra opposer celui selon lequel nous n’avons plus les moyens de nous priver de la juste part des banques. Rétablir la taxe sur le capital des institutions financières rapporterait annuellement 600 millions de dollars. C’est 2000 fois plus que ce qu’il manque à la Commission scolaire de Montréal (CSDM) pour rétablir le transport de ses 700 élèves laissé.e.s sur le bord de la route.
Un choix politique coûteux
La taxe sur le capital a été graduellement abolie depuis le début des années 2000, sous prétexte de stimuler l’investissement des entreprises et donc, l’économie en général. À terme, cela devait rapporter des revenus supérieurs à l’État que ceux dont il s’était volontairement privé. Or, non seulement cet effet n’a pas été observé, mais la majorité des investissements des banques se font de toute façon dans le secteur financier et non dans le secteur productif. Cela veut dire, notamment, que lorsqu’elles ont plus de capital entre les mains, les banques ne créent pas plus d’emplois.
En ce moment, c’est carrément un cadeau que nous leur faisons en laissant ces 600 millions de dollars supplémentaires entre leurs mains. Rien ne justifie un tel choix politique, sauf peut-être la parenté entre ceux et celles qui prennent ces décisions et ceux et celles qui en profitent. Entre les lignes du discours sur l’équilibre budgétaire, on lit sans peine la volonté de l’élite économique et politique de se reproduire et de s’enrichir toujours davantage. Trois médecins qui se votent une hausse de salaire, ce n’était que la pointe de l’iceberg. C’était la partie un peu grossière d’un stratagème complexe et ramifié, impliquant des crédits d’impôt sur les gains en capital et les dividendes, des réductions d’impôts et des subventions pour les entreprises, des redevances burlesques sur les ressources naturelles, des REER, CELI et autres acronymes aux consonances d’évitement fiscal.
Si l’abolition de la taxe sur le capital des institutions financières n’a pas permis de stimuler l’économie ni de créer de l’emploi, il faut par contre souligner une chose : lorsque le gouvernement perd des revenus, il supprime bel et bien des emplois. La CSDM prévoit par exemple couper 20 postes d’orthopédagogues. Même les ministres n’osent plus dire de leur voix mièvre que les compressions n’affecteront pas les services. D’autres effets bien tangibles sont en train d’être recensés sur la page Facebook Le livre noir des coupures en éducation par les personnes qui sont sur le terrain pour les observer. L’IRIS, à ce titre, a également fait un travail magistral avec son Observatoire des conséquences des mesures d’austérité au Québec où l’on a répertorié les impacts concrets des coupures effectuées dans tous les secteurs publics, de la santé à l’éducation, en passant par l’égalité hommes-femmes.
Le banquier, l’infirmière et la boulangère
Or, si l’austérité peut frapper directement les organismes qui luttent contre le sexisme, il faut noter que la plupart des autres compressions budgétaires ont elles aussi un impact plus grand sur les femmes. En effet, qui travaille majoritairement dans les écoles et les CLSC? Qui assure le travail de soin, institutionnalisé au tournant des années 70, dans notre société? Ce n’est pas pour rien qu’on dit «les infirmières». Le travail qui était autrefois exécuté par les femmes au foyer a désormais été partiellement socialisé… même si ce sont encore des femmes qui le font. Si l’on coupe dans ces services, non seulement les femmes perdront des emplois, mais il est probable qu’elles héritent davantage de travail effectué sans rémunération, dans la sphère privée, comme c’est le cas actuellement avec les proches aidantes. En effet, même si «on est en 2016», ce sont encore des femmes qui assurent la plus grande partie du travail domestique.
De l’autre côté de la médaille, qui fait partie de l’élite économique? Parmi les 20 personnes les plus riches de la planète, on compte seulement deux femmes. L’idée n’est pas de dire qu’il devrait apparaître plus de femmes au classement Forbes, mais plutôt de démontrer que cette élite n’est certainement pas abstraite et asexuée. Transférer de l’argent des moins au plus nantis, c’est aussi en prendre aux femmes pour en redonner aux hommes. Est-ce de là qu’on a tiré l’expression : vouloir le pain, l’argent du pain et le cul de la boulangère?