Assis dans l’une des nombreuses cours donnant sur le lac Noranda, Ricochet a rencontré Stéphane Lafleur, Joël Vaudreuil, Mathieu Charbonneau et Nicolas Moussette à quelques heures du premier spectacle qui présentait les chansons du nouvel opus «d’Avec pas d’casque» au Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue (FME).

Ricochet : Quand on écoute votre album, on n’y retrouve pas vraiment d’effets spéciaux justement. Pourquoi ce titre alors?

Stéphane : Le titre est arrivé après avoir finalisé l’album, et on ne s’en est pas vraiment parlé. On avait au départ un autre titre de travail. On était en mixage quand le titre est arrivé. Joël avait déjà commencé à travailler sur le visuel de la pochette. J’ai entendu l’expression «effets spéciaux», qui est généralement toujours reliée au cinéma, mais quand on la sort de son contexte, ça peut s’appliquer à autre chose. Je trouvais que le visuel, les textes des chansons et les mélodies relevaient de «l’invisible entre les gens», les effets spéciaux entre les gens, quand on a l’impression qu’il se passe quelque chose entre eux. Et c’était aussi ironique, du fait que cet album a très peu d’effets spéciaux (rire collectif ici).

Ricochet : Il y a toujours eu une dose d’humour et d’autodérision dans vos chansons, mais force est d’admettre qu’elle est intégrée de façon toujours plus subtile au fil des albums. Sur «Effets spéciaux», on ne vous entend plus «cabotiner» du tout. Est-ce qu’on peut dire qu’Avec pas d’casque se prend de plus en plus au sérieux?

Stéphane : C’est nos poils blancs dans nos barbes! (rires) C’est vrai qu’il y a une certaine évolution. Au début, le «band», c’était juste Joël et moi, et Joël jouait de la batterie depuis 10 minutes quand on a commencé. Moi je suis aussi autodidacte, et c’est plus difficile de s’assumer dans ce temps-là, de prouver ton point et de faire sa place. Nous avions un gros syndrome de l’imposteur. C’est de moins en moins là, mais c’est quand même encore présent. Il y avait donc beaucoup d’humour dans nos chansons au départ probablement pour ça. Pour camoufler une certaine insécurité. Mais plus les années et les albums ont passé, plus j’y ai intégré des chansons sérieuses. Plus j’en mettais, plus la réponse était bonne et je me rendais compte que les gens les écoutaient. Le retour était presque plus grand. Ç’a comme légitimisé ce qu’on faisait. C’est donc dans cette direction que j’avais envie d’aller. «Astronomie» a vraiment été un point tournant, parce que c’est vraiment là que j’ai senti que je pouvais être plus sérieux.

Mais plus les années et les albums ont passé, plus j’y ai intégré des chansons sérieuses. Plus j’en mettais, plus la réponse était bonne et je me rendais compte que les gens les écoutaient.

Ricochet : À l’époque de votre album Dans la nature jusqu’au cou, Stéphane, tu avais décrit en partie ta démarche d’écriture par la belle formule «Vaincre la grisaille par la grisaille». Elle impliquait de nommer et partager les choses qui vont mal pour que ça puisse aller mieux. Que reste-t-il de cette approche sur l’album Effets spéciaux? Stéphane croit-il toujours au combat de la grisaille par la grisaille?

Stéphane : Plus que jamais! (rires) Et pas juste la mienne, mais aussi celle des gens autour de moi. En effet, c’est important pour moi d’essayer de nommer les choses pour mieux les comprendre. À partir du moment où on nomme des choses invisibles (on revient aux effets spéciaux), la chose commence à exister et à être moins effrayante, d’une certaine façon.

Ricochet : Cet album sort en septembre, et certains passages dans les textes évoquent l’automne, l’hiver et le vent (sur «Nos corps en ré bémol», «Il fait noir de bonne heure», «La peur de perdre»). Le timing est parfait, on a l’impression de recevoir un chandail de laine pour l’automne. Aviez-vous ce timing en tête? Voyez-vous l’album un peu comme ça, comme un album à écouter quand il commence à faire noir de bonne heure? A-t-il été écrit durant les saisons froides?

Stéphane : Je pense qu’on a toujours fait un peu de la musique de journées courtes (rires!). On n’a jamais fait de la musique estivale à mettre sur un voilier ou sur un «speed boat». Quand on commence à penser à un album, tout se fait à l’envers; il faut parler à la compagnie de disque pour voir quel timing est le meilleur, et quand elle nous dit «l’automne est libre, et vous faites de la musique d’automne», et comme on doit rendre l’album trois ou quatre mois avant la sortie, on se met à l’œuvre. C’est bien d’avoir une date butoir parce que ça nous oblige à avancer.

On n’a jamais fait de la musique estivale à mettre sur un voilier ou sur un «speed boat».

Ricochet : Pour «Astronomie», vous aviez retranché pas mal de bonnes chansons qui ont finalement été rassemblées sur le EP «Dommage que tu sois pris». Avez-vous enregistré encore beaucoup de chansons retranchées pour «Effets spéciaux»?

Joël et Stéphane : Non, pour «Effets Spéciaux», nous n’avons pas vraiment d’autres chansons. C’est plutôt des chantiers qu’on a commencé, mais pas terminé, mais c’est vraiment pas comme pour «Astronomie», où nous avions beaucoup de chansons retranchées pratiquement enregistrées. Pour «Effets Spéciaux», on ne s’est pas rendu à cette étape d’avoir plein de chansons presque finales à couper. Le fantasme d’avoir toujours trop de chansons parmi lesquelles on doit choisir n’arrive pas tant que ça dans notre band, parce que je n’écris pas tant de chansons que ça.

Joël : On l’a aussi fait plus au fur et à mesure. Y’a des chansons qu’on a pratiqué trois ou quatre fois qu’on a finalement décidé de ne pas garder, pendant l’enregistrement de l’album. C’est comme un t-shirt laid. C’est pas parce que tu l’as acheté que tu es obligé de le mettre! (rires)

Stéphane : Qu’est-ce que tu veux dire? (en regardant son t-shirt)… En tout cas on en reparle (rires).

Ricochet : Écouter vos chansons est une expérience toujours très apaisante et réconfortante. Pour vous, est-ce un exercice tout aussi apaisant de jouer au sein de ce groupe, et de bercer des publics attentifs?

Mathieu : Oui, vraiment, c’est très apaisant pour nous aussi. Surtout que nous sommes de très bons amis, très proches, donc nous retrouver pour jouer ensemble, c’est toujours juste du «fun».

Joël : Oui, 10 % de bruit, 90 % de fun! (rires!)

Ricochet : Est-ce que le fait que vous ayez d’autres projets (films pour Stéphane Lafleur, «Timber Timbre» pour Mathieu, par exemple) explique les longues années qui séparent la sortie de vos albums?

Stéphane : Je ne trouve pas que le temps est si long. En comparant à d’autres artistes, quatre ans, c’est rien. Il faut aussi qu’on ait le temps de tourner notre album quand on le sort, et de prendre aussi le temps de nourrir la musique. Il faut qu’on vive des choses pour alimenter un album.

Joël : Oui, moi les gens qui sortent un album chaque année m’impressionnent vraiment. Peut-être qu’un jour on va faire un album concept sur l’histoire d’un gars qui fait un album (rires!).

Ricochet : Avez-vous envie de jouer un peu en dehors du Québec dans les années à venir? L’avez-vous déjà fait?

Stéphane : Je ne pense pas. De toute façon, le mot «tournée» n’existe pas vraiment au Québec. Pour moi, partir le jeudi et revenir le dimanche, ce n’est pas une tournée. Pas comme quand Mathieu part avec «Timber Timbre» cinq semaines, en faisant un show chaque soir dans une ville différente. Mais c’est ça la réalité au Québec. C’est rare qu’on fait des spectacles en dehors du vendredi, samedi, à moins d’aller très loin. C’est plus un week-end à Québec qu’une tournée, disons. L’été on peut le faire un peu plus parce que les gens sont un peu plus en vacances, mais on ne virera pas à St-Lin un mardi soir pour faire un show. Les gens ont des vies, et travaillent.

Ricochet : Ce n’est pas votre première présence au FME. Vous disiez par ailleurs la semaine passée à La Soirée est encore jeune que vous aviez vraiment un rapport privilégié avec le public; qu’est-ce que le FME représente pour vous?

Stéphane : C’est de plus en plus difficile venir jouer au FME. C’est un festival qui a gagné en réputation, donc tout le monde veut venir jouer ici, donc l’organisation doit faire des choix. Surtout au début, on se faisait dire non, parce qu’on était déjà venu deux ans avant, ou qu’on ne sortait pas d’album.

Moi ce que j’aime de ce festival, c’est la configuration du site; tout se fait à pieds, tout est proche, rien n’est vraiment fermé non plus, c’est vraiment bien. Ça paraît un festival qui est là depuis longtemps, que la ville est contente d’avoir, que l’organisation est rodée.

Ricochet : Vous avez tous des projets à côté. Comment voyez-vous Avec pas d’casque à travers tout ça?

Stéphane : C’est des cycles. Quand on est dans le cycle «Avec pas d’casque», ça demande plus de temps que quand Joël et moi on a commencé. Au début, on faisait cinq spectacles par année. Là, je ne sais pas combien on va en faire, mais au moins une vingtaine d’ici les fêtes. C’est plus de temps qu’avant, mais c’est une bonne chose! On est contents! On n’accepte pas tout non plus. Je pense que si on faisait un trop grand nombre de spectacles, je me tannerais.

Ricochet : Comment vous situez-vous dans l’univers musical québécois? Quelle est la place que vous y occupez à votre avis?

Mathieu : Ralentir les choses peut-être? À travers notre musique?

Joël : Je nous vois plus dans un spectre panoramique que sur une échelle. Je crois qu’on est une des nombreuses propositions musicales qui existent, avec une musique calme et apaisante. Ça se passe peut-être aussi plus dans la façon de faire les choses; le calme, la lenteur, pas juste dans la musique, mais aussi dans l’exécution. On privilégie aussi le rapport humain plus que celui de la performance. C’est un processus toujours apaisant, peu importe ce qu’on fait, que ce soit dans travailler sur la pochette, louer une van ou commander au resto.

On privilégie aussi le rapport humain plus que celui de la performance. C’est un processus toujours apaisant, peu importe ce qu’on fait, que ce soit dans travailler sur la pochette, louer une van ou commander au resto.

Stéphane : Pour moi, ç’a toujours été très important (et ça fait partie du syndrome de l’imposteur dont on parlait tout à l’heure), de ne pas imposer notre musique ou de la rentrer de force dans les oreilles des gens. Et malgré ça, on a réussi à se tailler une place dans le panorama musical du Québec, de façon naturelle, comme notre progression. Ça fait 13 ans qu’on joue ensemble, on a toujours été en expansion. On se croise les doigts à chaque fois pour garder notre monde. On en perd parfois c’est sûr, mais on en gagne aussi. Je pense que c’est ça le défi.

L’album «Effets spéciaux» est disponible partout depuis le 2 septembre 2016.