En Ouganda, pays natal de Kamoga, afficher publiquement son homosexualité, sa bisexualité ou son identité transgenre peut mener à une vie de menaces et un risque réel d’aboutir en prison. Il en va de même en Jamaïque, pays natal de l’avocat et militant Maurice Tomlinson, et en Tunisie, pays du jeune militant Ramy Ayari. Dans plus de 70 pays dans le monde, l’homosexualité est un crime passable de prison. «Oui, nous avons fait des manifestations en Jamaïque, mais on les fait en portant des masques», dit Maurice Tomlinson. «Notre fierté, c’est un évènement privé, tout comme notre sécurité, parce qu’on ne peut pas faire confiance à la police.»
«Très récemment, nous avons eu un défilé de la fierté à Kampala où les policiers ont arrêté tout le monde», se rappelle Kamoga, fondateur du Queer Kampala International Film Festival, dont la première édition se déroulera au mois d’octobre. Kamoga a initialement voulu que l’évènement soit public et éducatif, mais suite aux évènements de la fierté, il a décidé de l’organiser dans un lieu secret, dont l’emplacement est donné seulement aux invité-es inscrit-es d’avance. Tout cela pour des films sur l’amour…
Kamoga, Tomlinson et Ayari partageaient leurs expériences dans le cadre d’une conférence sur les luttes LGBT tenue dans le cadre du Forum social mondial. Il s’agissait de la première conférence pleinement consacrée aux luttes LGBT depuis la fondation du FSM en 2001.
Au-delà des lois criminalisant leur identité sexuelle, les personnes LGBT criminalisées doivent souvent composer avec une atmosphère d’homophobie ambiante qui rend la vie normale impossible et mène souvent à des menaces de mort. «On ne peut pas porter plainte pour harcèlement. Un militant en Tunisie a dû fuir le pays suite à des menaces sérieuses. Quand il est allé à la police, il s’est répondre « On ne protège pas les pédés »», se souvient Ramy Ayari.
Le Tunisien dépeint un tableau très familier à Maurice Tomlinson. En 2011, le Jamaïcain a perdu un camarade, poignardé 79 fois pour son implication en faveur des personnes LGBT. Il a lui-même quitté le pays un an plus tard, quand un journal a publié des photographies non autorisées de son mariage à un homme canadien, et qu’il a reçu des menaces par la suite.
«Nous venons d’une société très homophobe. On l’entend dans notre musique, et dans les églises. Comme les artistes grandissent dans ces églises, ça parait ensuite dans leur musique. On l’entend partout, et ça renforce ces messages homophobes. Meurtres de personnes LGBT, violations de domicile, attaques collectives, surtout sur des personnes trans, sont monnaie courante. Beaucoup de ces attaques sont motivées par la loi anti-homosexuelle. Des politiciens nous ont dit qu’ils n’aimaient pas cette loi, parce que ça donne un mauvais nom au pays, mais qu’ils avaient besoin du soutien des églises», se désole Maurice Tomlinson.
Tomlinson fait cette énumération d’abus et d’obstacles avec un calme frappant et un sourire désarmant. Pour expliquer pourquoi, il brandit un drapeau jamaïcain. «Les couleurs de mon drapeau, c’est le noir, le doré et le vert. Noir pour la souffrance, doré pour le soleil et vert pour la terre. Pour moi, ça symbolise que la situation en Jamaïque n’est pas que noire. Oui, il y a l’homophobie, mais pas que ça. Il y a beaucoup de soleil et de verdure, et on espère qu’ils deviendront plus importants», explique le militant. «Et on fait quand même des progrès, témoigne-t-il. La mairesse de Kingston s’est adressée aux militant-es au dernier défilé de la Fierté. Au Belize, la loi contre la sodomie a été abrogée au bout de sept ans d’efforts; c’est une grosse victoire. J’espère qu’on fera aussi abroger la loi équivalente en Jamaïque.»
«Même si beaucoup de choses vont mal, en agissant maintenant, on rend ça plus facile pour les autres générations, poursuit Hassan Kamoga. On ne lâche pas, parce que sinon, ils gagnent. On ne lâche pas, parce qu’on essaie d’éduquer des gens et que c’est important», conclut l’Ougandais.