Bien que je sois toujours heureuse de voir les enjeux des communautés LGBTQ+ se retrouver au cœur du débat public, puisque ces enjeux sont complexes et devraient être discutés autant que possible pour être bien compris, j’ai été surprise par les divisions apportées par M. McCutcheon. J’aimerais donc prendre le temps de rectifier certaines de ses affirmations, puisqu’il est dans la mission du Conseil québécois LGBT de tenter de démocratiser le langage et les réalités LGBT auprès de la population et des instances gouvernementales.
États d’êtres, êtres politiques
M. McCutcheon explique d’abord que l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont des «états d’être», c’est-à-dire des caractéristiques non choisies. C’est une rhétorique qui a longtemps été centrale à la militance pour les droits des personnes LGBT : on naît comme ça, c’est tout. Il s’agit d’un argumentaire crucial, puisqu’il rappelle la souffrance et la détresse vécues par les personnes LGBTQ+ à travers le monde. Toutefois, on peut aussi se demander si la légitimité d’une personne LGBTQ+ doit reposer sur ce fait. Si on a théoriquement le droit d’aimer et/ou d’être qui on veut, doit-on quand même se défendre de le faire? N’est-ce pas la société qui nous contraint à l’hétérosexualité, plutôt que la nature? Est-ce que le respect doit découler de l’inévitabilité?
L’argument est d’ailleurs pernicieux quand on l’applique, par exemple, aux personnes bisexuelles : elles n’ont effectivement pas le choix de leur orientation, mais elles choisissent leur partenaire (si tel est leur désir). Or, si elles sont avec une personne de leur sexe, méritent-elles moins le respect de la société hétéronormée dans laquelle elles évoluent? Et si elles choisissent une personne du sexe opposé, perdent-elles le droit de militer pour les droits LGBT?
Et si le «T» s’est effectivement «joint» à l’acronyme, c’est le résultat de combats difficiles du côté des personnes trans, qui ont dû prouver (et qui doivent prouver encore) qu’elles ont leur place dans les luttes qui concernent la diversité sexuelle et de genre.
M. McCutcheon mentionne, dans cette section, que le «I» qui représente les personnes intersexuées «pourrait compléter l’acronyme LGBT», du fait qu’il s’agit également d’un «état d’être». Entend-il que les identités et orientations qui s’écartent de ce qu’il définit comme des états d’être n’ont pas leur place dans l’acronyme et, par extension, dans la lutte pour les droits des minorités sexuelles?
Idéologiquement correct
Il explique ensuite que certaines personnes «préfèrent s’identifier ou se définir davantage par leur idéologie que par leur état d’être». Pour lui, elles «se disent queer», mot auquel il finit par donner la même définition que pour «bisexuelles»… Est-ce plus politically correct de se dire bisexuel plutôt que queer, puisque le premier serait apolitique et le second, pas assez? Et il en rajoute, mentionnant que le mouvement queer chercherait «une seule identité qui ne serait ni féminine ni masculine». Au contraire, loin de vouloir réduire les identités à une seule, le queer cherche à les multiplier, à donner de la légitimité à leurs vécus.
De plus, l’auteur écrit que la lettre A désigne «les personnes qui se disent asexuées (sic)». Je ne peux qu’imaginer qu’il voulait dire «asexuelles» – les personnes qui ne ressentent pas d’attirance sexuelle – puisque le terme «asexuée» désigne, en biologie, «une espèce qui peut se reproduire sans l’existence d’individus de sexes distincts»… Mais si on parle effectivement d’asexualité, donc d’une orientation sexuelle, pourquoi n’est-elle pas incluse dans ce qui relève de l’«état d’être»? Pourquoi écrire que ces personnes «se disent» asexuelles, sinon pour remettre en cause les termes qu’elles ont elles-mêmes choisis pour se définir?
À la fin de cette section, M. McCutcheon explique le concept «d’êtres aux deux esprits», tiré des communautés autochtones. Encore une fois, je ne comprends pas en quoi il s’agit d’une idéologie : c’est une façon différente de nommer une identité. Mais les mots «two-spirit» sont-ils particulièrement politiques? Assurément, puisqu’il s’agit de réapproprier des éléments d’une culture qu’on a failli faire disparaître. C’est politique parce qu’anticolonialiste et queer en même temps : ça fait mal à l’âme homonationaliste, ça…
Radicalisme sexuel d’hier à aujourd’hui
Il me semble que le radicalisme «marginal» qu’évoque finalement M. McCutcheon doit ressembler étrangement au radicalisme des homosexuels qui, jusqu’au tournant du siècle, étaient encore brutalisés par les forces de l’ordre, systématiquement discriminés et privés de leurs droits. À qui on disait de se taire. De se cacher. De rester tranquilles.
Si cette époque n’est pas si loin derrière, il m’apparaît quand même que la rectitude politique de M. McCutcheon lui fait oublier la posture de privilège qui est la sienne actuellement, et oublier que les personnes LGBTQ+ (… surtout TQ+, entendons-nous) n’ont pas encore atteint l’égalité de droit. Que ce sont ces inégalités et ces injustices qui créent de la colère. Et que cette colère gronde fort lorsque les personnes qui la portent se sentent abandonnées par leurs pairs, les mêmes qui ont lutté pour obtenir, eux aussi, le droit d’aimer et d’être sans être réprimés.
Une erreur factuelle
Je finirai en corrigeant une erreur factuelle dans le texte de M. McCutcheon : l’insinuation que les bébés intersexués ne subissent plus, au Québec, de chirurgies correctrices. C’est faux. Elles sont encore permises et pratiquées. Si certaines personnes s’identifiant aux premières lettres de l’acronyme LGBTQAI2S+ ont acquis l’autonomie de leurs corps, ce n’est clairement pas le cas de tout.e.s, et il est crucial de le rappeler… Ce faisant, on fera peut-être «dévier l’acronyme LGBT de son sens premier», pour reprendre les mots de M. McCutcheon, mais on rendra compte de réalités qui ont, elles aussi, leur place. Et c’est peut-être comme ça que l’acronyme retrouvera sa charge subversive initiale.
Marie-Pier Boisvert, directrice générale du Conseil québécois LGBT