Car que voit-on dans les médias depuis la sortie du jeu? Accidents, dérangements, vol de données…

Au-delà du fait que ce jeu soit une machine à argent, comme l’a démontré notre collègue Sébastien Robert, est-ce vraiment un monstre qui ramène les adultes au plus bas niveau de réflexion et qui incite les enfants à la débauche informatique? Est-ce la nouvelle dépendance dont il faut se méfier? Au vu de tous ces accidents, faudra-t-il faire des lois pour déterminer un âge minimum ou obliger les joueurs à porter un casque de vélo pour éviter les traumatismes crâniens en cas d’accident?

Pire encore : ce jeu et sa popularité sont-ils vraiment les symptômes «d’une société handicapée mentale»?

Pour porter un tel jugement, quelques points semblent avoir été mis de côté dans l’analyse de la situation.

Pour porter un tel jugement, quelques points semblent avoir été mis de côté dans l’analyse de la situation.

Le jeu fait marcher

Non seulement faut-il parcourir les rues de la cité pour voir apparaître des Pokémons, mais il faut accumuler les kilomètres pour faire éclore les «œufs» des petites bestioles. Ainsi, une éclosion exige généralement 5 km de pas. Ça peut vouloir dire une bonne soirée de marche.

Certains regrettent qu’on ait besoin d’un jeu et d’une soi-disant «réalité augmentée» (qui permet de faire apparaître des Pokémons dans un paysage réel) pour sortir dehors et profiter de l’été. Mais à qui s’adresse ce jeu? À ceux qui sortaient déjà quotidiennement pour faire du jogging? Aux admirateurs de paysages? Pas du tout! Le public cible est les fans de jeux vidéo et de séries télévisées. Or que faisaient-ils avant Pokémon Go? Ils restaient à l’intérieur devant la télévision/tablette/cellulaire.

Qu’est-ce qui dérange les «grincheux», comme les a nommés le journal Métro? Est-ce de voir tous ces sédentaires sortir de leur isolement et aller dehors «pour une mauvaise raison»? De réaliser l’ampleur de cette épidémie de sédentarité, cause du surpoids et de l’obésité? Cette masse de joueurs tout à coup visibles à l’extérieur n’est pas principalement composée de gens qui ont troqué leurs espadrilles de course pour une chasse aux Pokémons. Ce sont plutôt des gens habituellement réticents à sortir qui ont trouvé «une bonne raison» (pour eux) de le faire.

Le jeu fait découvrir

Les Pokéstops sont des arrêts où les joueurs peuvent récupérer des items utiles pour la chasse, et aussi des endroits où il arrive que plusieurs Pokémons soient réunis. C’est donc à ces endroits (ainsi que dans les «arènes») que l’on trouve la plus grande concentration de personnes debout devant leur cellulaire.

Or, où sont les Pokéstops? Généralement, ce sont des lieux publics d’une ville. Une église, une statue, une plaque commémorative, un bureau de poste… Prenons un exemple : le Vieux Québec, où il y a de multiples Pokéstops. Bien sûr, on sait tous que c’est un lieu riche d’histoire, mais avec un cellulaire et Pokémon Go, on est forcé de marcher à travers les côtes (le jeu ignore le dénivelé de Québec, galbant ainsi les mollets des joueurs déterminés) pour découvrir la statue commémorative à Champlain, ou bien celle de Clarence-Gagnon au bout du quai du traversier…

Les esprits chagrins pourront regretter que cette visite d’une ville historique magnifique soit effectuée pour accumuler des items afin d’attraper des Pokémons qui n’existent pas. Il reste toutefois que les joueurs n’auraient peut-être jamais remarqué cette petite église anglicane ou lu cette plaque commémorative autrement.

Le jeu fait partager

J’ai connu l’époque où on écoutait tous la même émission le lundi soir et qu’on jasait des personnages de La petite vie le lendemain en entrant à l’école (ou au bureau pour les plus âgés). L’éclatement des divertissements permet maintenant à chacun de se blottir dans une niche (télé-réalité, documentaires, séries télé, cinéma de répertoire) grâce aux réseaux comme Netflix, Tou.tv ou au web. Les discussions autour de la machine à café ne permettent plus de s’identifier à un divertissement commun pour tisser des liens comme auparavant.

C’est un véritable éclatement des frontières : l’amateur de Game of Thrones partage un intérêt avec d’autres à travers le monde. Les fans sont partout, ce qui empêche le dialogue local (bien que vous puissiez essayer de convertir votre collègue de bureau qui n’est pas fan de cette série). Si cet éclatement des frontières désavantage généralement le contenu local d’une petite société comme le Québec, ce phénomène peut également favoriser le succès des «longtails» dans le jargon, c’est-à-dire des divertissements plus pointus qui n’auraient pu accumuler suffisamment de public localement, mais qui touchent assez d’individus mondialement pour réussir.

Pokémon Go, au contraire de ces loisirs consommés dans le confort du foyer, oblige à sortir. Et à se réunir autour des Pokéstops et des arènes. C’est un divertissement de masse qui permet de croiser le touriste, mais aussi le second voisin, la dame de la rue d’en face, la famille qui habite en haut… Et on se met à jaser. D’abord du jeu, puis des moments où on joue, de ses points positifs et négatifs sur la santé (les joueurs aussi s’interrogent sur les bienfaits et les méfaits du jeu!). Bref, on tisse des liens.

C’est un divertissement de masse qui permet de croiser le touriste, mais aussi le second voisin, la dame de la rue d’en face, la famille qui habite en haut…

Je ne ferai pas de thèse en sociologie sur le phénomène Pokémon Go. Je m’amuse beaucoup trop à y jouer et j’ai un parti pris évident. Je suis de la génération Y, ce qui veut dire que j’ai visionné les dessins animés de ces Pokémons qui hantent aujourd’hui nos rues. Bien avant qu’ils apparaissent sur mon cellulaire, j’avais initié mon plus grand au dessin animé et je lui avais chanté la chanson du générique (que je connais par cœur). Du Japon, où j’ai vécu, j’avais ramené des «goodies», dont un petit Pikachu que j’ai accroché fièrement sur mon sac hier soir et qui a fait la joie de mon petit bonhomme quand il l’a remarqué. D’une génération à l’autre, on partage un plaisir commun qui nous fait sortir en famille et jaser ensemble.

D’une génération à l’autre, on partage un plaisir commun qui nous fait sortir en famille et jaser ensemble.

Et c’est là toute la nuance : ce jeu est un divertissement qui prend la place d’un autre divertissement. Pas du temps accordé à l’information, à l’apprentissage ou à la réflexion. Et, contrairement aux autres divertissements sur petit écran, il a l’avantage d’obliger à sortir dehors et à marcher.

Quand même, joueurs : soyez prudents si vous chassez. Même le mythique Mew ne vaut pas une vie humaine.

Sur ce, je retourne à ma thèse.