Curieusement, de toutes les réactions initiales, c’est peut-être celle de la police de Munich qui a été la plus prudente et, en définitive, la plus juste : le commandement a refusé de spéculer sur l’identité du tueur et sur ses motivations avant d’avoir plus d’informations. Pendant ce temps, certains journalistes cherchaient à placer cette énième tuerie en sol européen dans la lignée des attaques de Paris et de Bruxelles (voire Nice), pour alimenter le récit d’une guerre des civilisations. Mais encore là, en étant charitable, on peut remarquer que les médias cherchaient un lien avec ces événements plutôt qu’ils ne le postulaient.

Mais la chronique d’humeur n’est pas soumise aux mêmes exigences de rigueur que l’information. Ça, Tania Longpré, Richard Martineau et Eric Duhaime l’ont bien compris. La première s’est permis une autre litanie au sujet du supposé «refrain sirupeux» de certaines personnes qui refusent les amalgames pour réclamer plus d’ouverture, qualifiant au passage les djihadistes de «métastases» d’un «dangereux virus», incluant les événements de Munich[1] dans sa chronique du 23 juillet. Remarquons qu’elle a réussi avec brio à donner raison à l’adversaire imaginaire qu’elle décrit. Quelle information Mme Longpré avait-elle sous la main pour affirmer que l’attaquant de Munich était un djihadiste? Aucune, manifestement. Mais cela ne l’a pas empêché le moins du monde de faire – oserons-nous le dire? – l’amalgame iranien = musulman = djihadiste. Mentionnons au passage que les djihadistes qui commettent des attentats dans les pays occidentaux sont d’obédience sunnite, alors que la très vaste majorité des Iranien-ne-s sont shiites (des «mécréants» selon Daesh). Mais Mme Longpré n’a pas le temps de se renseigner, apparemment.

Alors, Tania, s’il y en a qui chantent un «refrain sirupeux», n’est-ce pas plutôt le genre de refrain collant, gluant et nauséabond qui tente de faire de l’étranger à la peau basanée la source de tous les maux de l’«Occident»? Et si la réalité était un tantinet plus complexe? Mais ça, ça ne permet pas d’écrire une chronique en 15 minutes pour récolter quelques clics chez des identitaires en mal de Charte.

Et si la réalité était un tantinet plus complexe? Mais ça, ça ne permet pas d’écrire une chronique en 15 minutes pour récolter quelques clics chez des identitaires en mal de Charte.

Pour ce qui est de Richard Martineau, une chronique, c’était déjà trop demander. Citons les trois statuts Facebook qu’il a écrits sur le sujet. D’abord : «Couillard va-t-il dire que c’est la faute des Allemands?» C’est à se demander ce qu’il cherche à prouver ici. Ensuite, «On ne leur ouvre pas suffisamment les bras… On n’est pas assez accueillants… C’est de notre faute, mea culpa…» Un couplet, donc, dans la chanson de la droite au sujet de la réponse «inclusive» aux attaques terroristes. Donc, encore une fois, un bon représentant de la droite médiatique assumait a priori que l’attaque était le fait d’un «islamiste radical». Pour quelle raison, sinon que la double nationalité allemande-iranienne du forcené?

Finalement, après avoir pris connaissance des faits, plutôt que de faire acte de contrition et de reconnaître son erreur, Martineau a utilisé un subtil déflecteur : «La gauche est toute contente que les attentats de Munich ne soient pas le fait d’islamistes! Ils se font des High-five! (sic) Tout juste s’ils ne célèbrent pas! « Yeah, c’est un fou d’extrême droite! Party! »» Le comble. D’une part, la gauche se réjouirait d’une attaque ayant fait 9 morts, dont 3 Kosovars et 3 Turcs? Vraiment, Richard? Et où a-t-on distribué les high-five, question que j’aille distribuer quelques claques en retour? Et, tiens donc, l’homme en question s’abreuvait d’un discours d’extrême droite sauce norvégienne qui identifie l’Islam et le «marxisme culturel» comme des «ennemis». Ça ne vous rappelle pas les propos de ce même Monsieur Martineau? Poussons un peu plus loin : et si Richard tentait ici de braquer le projecteur sur «la gauche» pour éviter que l’on remarque qu’il participe lui-même à la surenchère de droite identitaire qui motive nombre de gestes violents (de l’insulte au massacre) dans nos sociétés?

Poussons un peu plus loin : et si Richard tentait ici de braquer le projecteur sur «la gauche» pour éviter que l’on remarque qu’il participe lui-même à la surenchère de droite identitaire qui motive nombre de gestes violents (de l’insulte au massacre) dans nos sociétés?

Et finalement, l’inénarrable Eric Duhaime. C’est certainement lui qui gagne le concours de surenchère. Citons un passage de son statut Facebook du 22 juillet : «Pendant que certains bien-pensants refusent de confirmer qu’il s’agit d’un autre attentat terroriste islamiste, le peuple sait qui a commis cette fusillade». Donc, non seulement Duhaime sait, mais le peuple sait. Et Duhaime sait que le peuple sait! Je ne saurais compter les niveaux de présomption ici, mais on doit frôler un record. Néanmoins, je soulignerais que notre libertarien préféré reprend le même genre de réflexion que Staline et d’autres dirigeants totalitaires : les faits ne comptent pas, tout est de la faute de l’«ennemi», un ennemi qu’il faut détruire à tout prix. Et lui aussi, à moins qu’il ne dispose d’un accès privilégié à l’intériorité du tueur comme il prétend en posséder un pour la conscience du «peuple», arrive à cette conclusion en faisant l’équation «musulman qui tue» = terroriste islamiste.

En tout cas, on ne pourra reprocher à Éric de ne pas maintenir une certaine cohérence. Lui qui a déjà affirmé, le plus sérieusement du monde, qu’«une information fausse est mieux que pas d’information du tout», il a nous a offert une belle démonstration. Et il y a un nom pour cela, cette attitude à sauter aux conclusions sans avoir d’information, sans même prendre la peine d’attendre qu’elle arrive, pour associer le geste d’un individu à son origine ethnique ou religieuse en entier : le racisme.


[1] Rectification: la première version de l’article de Tania Longpré contenait une référence à l’attaque de Munich, mais celle-ci a été retirée – sans erratum ou quelque mention que ce soit – après que l’on ait fait remarquer les faits à l’auteure. Ceci dit, cela ne change rien à notre argument sur le biais de Madame Longpré.