Jeudi dernier, le magazine américain The Nation publiait un article qui explique ce que les réactions de Donald Trump et Hillary Clinton révèlent à propos de leurs politiques étrangères respectives. Soucieux d’exciter sa base électorale, Trump préconise une fois de plus de «bombarder l’État islamique» et réitère sa promesse de fermer les frontières aux musulmans en plus de déporter ceux et celles déjà sur le territoire – une réponse militaire à un acte de terrorisme domestique commis par un citoyen américain de descendance afghane qui n’a visiblement jamais mis les pieds en Syrie. Cherchant à exciter la frange conspirationniste fanatique des publications du Infowars d’Alex Jones, il a même cherché à impliquer Barack Obama. De son côté, la candidate démocrate parle de l’importance d’intensifier les efforts des agences de sécurité et de renseignement. Rien d’étonnant, elle qui est également connue pour ses positions fauconnières en matière de politique étrangère et qui, comme l’ensemble de l’establishment politique, reste une partisane de l’exceptionnalisme américain et de la projection de puissance par la force des armes.

La grande tartuferie

Montée du militarisme et poursuite de la dérive sécuritaire. Deux marottes reconduites dans les grands médias nord-américains sans la moindre dose de jugement critique.

Mais la grande tartuferie se situe ailleurs.

Pour guérir le cancer – ou du moins le traiter efficacement -, il est important de s’attaquer à sa source avant que se développent des métastases qui, plus souvent qu’autrement, sonnent le glas du combat et condamnent le malade à plus ou moins court terme. Et s’il est principalement un phénomène biologique, le cancer peut aussi être politique.

En plus d’y vendre des armes, le Canada importe près du dixième de son pétrole des dictatures du Moyen-Orient. l’Arabie saoudite est le deuxième plus gros client du Canada, après les États-Unis.

À quel point est-il nécessaire de rappeler que l’Arabie saoudite demeure, à ce jour, justement, une métastase qui cherche constamment à s’étendre sur le monde musulman? Les grands médias ont fait choux gras du serment d’allégeance d’Omar Mateen envers l’État islamique (juré au cours d’un appel au 911) et des affinités de son père avec les Talibans. Dans un cas comme dans l’autre, ces idéologies extrémistes sont des calques directs du wahhabisme saoudien. Le royaume à qui on vend des «jeeps» blindés et armés jusqu’au bout des essieux a financé et construit les écoles coraniques qui longent la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, berceaux théologiques des Talibans. Il est l’inspiration directe des idées qu’on enfonce dans le cerveau des recrues et des sympathisants de Daech. À Riyad comme à Raqqa, on largue les homosexuels du toit de hauts édifices. On les pend haut et court, on les persécute sans relâche. Pourtant, on bombarde l’un et on permet à l’autre de siéger aux Nations-Unies. En plus d’y vendre des armes, le Canada importe près du dixième de son pétrole des dictatures du Moyen-Orient. l’Arabie saoudite est le deuxième plus gros client du Canada, après les États-Unis.

Combien de fois devra-t-on répéter que pendant que politiciens et commentateurs politiques poursuivent les appels à une nouvelle croisade, des groupes armés plus ou moins reliés à al-Qaïda sont devenus, en raison de leur opposition au régime de Bachar al-Assad, des «alliés objectifs» de l’Occident?

L’Arabie saoudite n’est qu’un «Daech qui a réussi», selon l’écrivain Kamel Daoud – je l’ai déjà cité, mais on ne saurait trop le répéter. Pourtant, cela n’empêche pas Donald Trump d’y brasser de lucratives affaires, comme le rapportait le mois dernier le quotidien britannique The Independent. La fondation Clinton compte parmi ses donateurs les gouvernements des Émirats arabes unis, d’Oman et…d’Arabie saoudite, selon un article du Wall Street Journal. Le magazine [Mother Jones] révélait en mai 2015 une augmentation des ventes d’armes aux pays donateurs à la Clinton Foundation – dont l’Arabie saoudite – alors que Clinton occupait le poste de Secrétaire d’État.

Convulsions médiatiques

Dans Les radicaux libres, Jean-François Nadeau écrit que «le bonheur des idées simplettes est qu’elles sont particulièrement faciles à élaborer» et que «notre malheur est qu’elles ne sont pas toujours faciles à bousculer une fois boulonnées dans l’esprit de ceux qui ont hélas la charge d’incarner la conscience d’un État». Si le chroniqueur du quotidien Le Devoir décrivait ici l’idéologie politique qui guide les néolibéraux et les néoconservateurs, on peut facilement appliquer un raisonnement similaire en observant les réactions des chroniqueurs va-t-en-guerre, alors que la poussière retombe à peine un peu moins d’une semaine après cette acte homophobe d’une horreur sans nom. «Faire la guerre et non l’amour», écrivait Mathieu Bock-Côté, mangeant au râtelier du choc des civilisations. Nouvelle crise de convulsions du côté de Richard Martineau, visiblement toujours ébranlé d’avoir causé une tempête médiatique autour d’un texte qu’il a été incapable d’interpréter avec la rigueur exigée par détenteur de telle tribune. Histoire d’attiser l’islamophobie via des généralisations grossières, il faisait circuler cette semaine la «fameuse» couverture du Maroc Hebdo où on se demande s’il faut «brûler les homos», tout en oubliant de mentionner à ses lecteurs que dans l’univers médiatique marocain, Maroc Hebdo est à peu près aussi crédible que Dernière Heure et, en 2014, n’avait un tirage que de 15 000 exemplaires, dont 6515 abonnements payants. À ce titre, je pourrais faire le même exercice et présenter une copie de Summum dans un café à Marrakech en disant que la couverture du magazine représente «nos valeurs». On pourrait leur suggérer de diluer le kool-aid idéologique, mais le problème avec telle mesure est que celui-ci s’étire plus longtemps.

Impossible d’anéantir des idées avec des bombes, que ce soit l’extrémisme religieux ou l’homophobie. La question n’est pas de savoir si nous sommes en guerre, mais plutôt contre qui et, plus précisément, contre quoi. Pour tuer la mauvaise herbe, il faut arracher les racines.