Le premier ministre s’est fait lancer une boule de papier…Cet authentique assaut contre la civilisation peut paraître anodin pour le commun des mortels, celui dont la vie quotidienne n’est pas enrobée de soie, celui qui connait la violence du travail, de l’exclusion, du chômage, du sexisme, de l’homophobie et du racisme, mais il ne l’est pas pour la hiérarchie, elle qui tremble chaque fois que la masse ne la suit pas au pas cadencé de ses hymnes à l’obéissance.
Par chance, les journalistes crient joyeusement «présents!» et donnent spontanément la patte chaque fois que la hiérarchie lui offre un biscuit. Eux seuls possèdent la sensibilité nécessaire afin de saisir la portée d’une telle violence. Ils chantent donc à l’unisson, un peu comme le cœur de l’Armée rouge, mais qui aurait mariné dans la vodka pendant des heures.
«Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé…»
Manifestement, c’est un drame. Transparent. Sans possibilité de sortie. Chacun des articles présente le récit des événements comme s’il s’agissait d’un réel attentat.
«Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé…»
Par une boule de papier?
«Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé…»
Par une tabar***k de boule de papier???
«Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé…»
Une boule de papier : voilà bien une arme avec laquelle Freddy Villanueva, ou encore Maxence Valade, qui a perdu un œil pendant le Printemps 2012, auraient bien aimé être «agressés». Ces derniers n’ont pourtant pas eu droit à la même «rigueur» de la part des faiseurs d’opinions, eux qui nous demandaient alors d’«attendre les résultats de l’enquête» et de «ne pas sauter aux conclusions»; sans oublier de nous rappeler que les «policiers ne font pas un travail facile».
«Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé…»
Cet attentat contre la démocratie vient de renvoyer les pitbulls à la niche. On en parlera pendant des jours, voire des semaines. Et en boucle. La Presse commence déjà à fouiner sur la page Facebook d’Esteban Torres, le terroriste en question, afin de nous dévoiler le profil de cet «homme révolté», «d’extrême gauche» et «perturbé» (La Presse).
Pas de temps à perdre. Le procès a déjà eu lieu. Les idées sont faites. Et depuis longtemps.
«Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé…»
L’insupportable, ce ne sera pas d’entendre les journalistes, les politiciens et autres policiers de l’esprit pleurnicher. L’habitude d’entendre leurs lamentations les transforme le plus souvent en une mauvaise musique d’ascenseur… Le plus dur, c’est que des gens ordinaires vont chigner à leur côté. «Qu’est-ce qui se passe, patron, sommes-nous malades?», comme disait Malcom X en parlant de ces esclaves s’identifiant aux maîtres.
L’attentat visait d’ailleurs le premier ministre de l’austérité et de la corruption. Celui qui coupe dans l’aide aux plus démunies tout en graissant la patte de ses copains; celui qui interdit les manifestations; celui qui est au service des notables; celui qui est un bon ami de l’Arabie saoudite…
Cette agression de papier a eu lieu lors d’une vigile visant à dénoncer une violence bien réelle, systémique et brutale, celle de l’homophobie. Cette violence fait des morts. Elle ne prend pas la forme d’une boule de papier, mais de l’exclusion, des coups de poing, des larmes et du suicide.
«Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé. Le premier ministre a été agressé… »
Et s’il l’avait un peu mérité?