«En Abitibi, on est dans une région où présentement, les mines vont bien, le monde travaille, puis c’est beaucoup de travail traditionnel. Donc il y a aussi cette réalité-là, de mobiliser des gens qui sont pris dans leur travail. Si on vivait une crise dans le secteur minier, je pense que les choses seraient différentes», explique Sylvie Nicole, présidente sortante du Syndicat des enseignants et enseignantes du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue (SEECAT), élue en 2012. Selon celle qui milite auprès de différents mouvements sociaux et groupes communautaires depuis plusieurs années, en Abitibi-Témiscamingue, dans le Bas-du-Fleuve et dans les grands centres urbains, défendre activement la justice sociale est une réalité bien différente. «En région, quand tu organises une manif et que tu réussis à avoir 200 personnes, tu es content. Le ratio de mobilisation n’est pas pareil», constate-t-elle.

«En région, quand tu organises une manif et que tu réussis à avoir 200 personnes, tu es content. Le ratio de mobilisation n’est pas pareil»

Une des luttes sociales importantes dans la région est l’accès au logement. Les pancartes «à louer» y sont quasi inexistantes depuis plus de 10 ans. Le logement social n’occupe que 7 % des logements alors que la moyenne québécoise est d’environ 10 %. Le taux d’inoccupation est quant à lui sous les 2 % dans les secteurs de Val-d’Or et d’Amos. «Oui, le boom minier a créé de la richesse au cours des dernières années, mais ce n’est pas tout le monde qui en a profité, il y a du monde qui s’est appauvri», dénonce le coordonnateur de l’Association des locataires de l’Abitibi-Témiscamingue (ALOCAT), Bruce Gervais.

L’Abitibi-Témiscamingue compte près 148 000 habitants. Le noyau militant s’avère donc restreint, mais rapidement visible. «On est facilement reconnus et identifiés. Certaines personnes sont mal à l’aise de se mobiliser», indique Sylvie Nicole. Danik Laporte, qui est l’agent sociopolitique au Regroupement d’éducation populaire de l’Abitibi-Témiscamingue (REPAT) depuis sept ans, vit lui aussi la même réalité. Dans la rue, il est reconnu comme une personnalité publique. «Il n’y a pas d’anonymat, témoigne-t-il. Parfois, c’est bénéfique, les gens nous remercient, ils sont solidaires, mais sinon, ça nous bloque aussi le chemin vers d’autres avenues, professionnelles notamment.» Selon les représentant-e-s des groupes communautaires, au cours des dernières années, cette identification aurait aussi entraîné le profilage des plus extravagants d’entre eux de la part des policiers. Ils s’inquiètent désormais de leur liberté de manifester et des dérives qui pourraient en découler.

À chaque mobilisation, la question se pose : doit-on mettre en branle cinq petits mouvements ou faire parcourir des centaines de kilomètres aux gens pour se rassembler en un même lieu?

Enfin, un autre défi complexe à relever est de faire face à la distance, tant pour se déplacer dans la région que pour participer aux instances nationales à Montréal. À chaque mobilisation, la question se pose : doit-on mettre en branle cinq petits mouvements ou faire parcourir des centaines de kilomètres aux gens pour se rassembler en un même lieu? Les militant-e-s ou leurs organisations investissent également beaucoup de temps et d’argent pour se joindre à des mobilisations dans les grands centres.

De l’espoir pour la gauche politique?

À la fin mai, lors de son congrès, Québec solidaire déclarait qu’il aspirait à prendre le pouvoir d’ici 10 ans. Parmi les circonscriptions potentiellement atteignables pour le parti politique, on retrouvait Rouyn-Noranda−Témiscamingue, l’une des trois circonscriptions de l’Abitibi-Témiscamingue. Lors des dernières élections provinciales, en 2014, le candidat Guy Leclerc obtenait 11,56% des voix, soit le 13e meilleur résultat au Québec. Selon lui, cet intérêt de la gauche s’explique en partie par l’histoire de la région, où les conditions difficiles ont imposé la solidarité lors de sa colonisation. Également, la présence des institutions d’éducation comme le cégep et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) contribuerait à sa base électorale. «Elles gardent un gros potentiel de gens qui ont la capacité de réfléchir et de questionner les choses. Finalement, la gauche va apparaître quand quelqu’un se pose des questions et qu’il n’est pas fondamentalement individualiste», croit Guy Leclerc.

Ce portrait idéologique est très différent dans les deux autres circonscriptions de la région. D’autant plus qu’à Val-d’Or, en Abitibi-Est, le cégep et l’UQAT y sont aussi implantés. «C’est deux mondes différents. Val-d’Or est beaucoup plus Klondike. C’est une ville plus jeune, qui est apparue Boomtown, qui a existé pour les mines. On y gagne et on y dépense beaucoup d’argent», fait remarquer le co-porte-parole de Québec solidaire pour l’Abitibi-Témiscamingue. «Quand tu es de gauche ou social-démocrate, tu te bats contre la machine à argent. La droite, c’est l’enrichissement. Les riches s’enrichissent comme ça ne se peut pas et ils nous font croire que c’est bon pour nous autres. Quand je rencontre des travailleurs miniers, ils me disent : « Je ne peux pas voter pour toi parce que je vais perdre ma job, tu es contre les mines. » Je dois leur répondre que nous ne sommes pas du tout contre les mines, on veut juste que les mines paient leurs impôts!» raconte Guy Leclerc.

Du côté des militant-e-s, ils et elles ne s’associent pas systématiquement à la gauche politique. Sylvie Nicole est membre de Québec solidaire et est la représentante «femme» pour l’Abitibi-Témiscamingue, mais cette implication en politique active est très récente pour la syndicaliste. «Pour moi, la gauche s’exprime plus par le mouvement populaire et communautaire, qui est une volonté plus proche du monde de se prendre en charge, d’être là, de changer les choses concrètement, sur le terrain», indique-t-elle.

Même son de cloche pour Bruce Gervais, qui croit que le terme «de gauche» est galvaudé. «Est-ce qu’être altruiste veut nécessairement dire être de gauche?», se questionne-t-il. «Aussi, je ne trouve pas non plus que Québec solidaire fait de la politique autrement. Est-ce qu’on peut se demander si tout le monde a à manger avant de parler de mode de scrutin?», fait-il remarquer.

Est-ce qu’on peut se demander si tout le monde a à manger avant de parler de mode de scrutin?

Autrement, l’itinérance, la prostitution, la discrimination raciale envers les Autochtones sont d’autres enjeux régulièrement débattus sur la place publique en Abitibi et au Témiscamingue. Les questions environnementales et sociales que pose l’implantation de certains projets miniers, particulièrement à proximité des milieux urbains, mobilisent également des militant-e-s qui font, eux aussi, grincer des dents les chercheurs d’or.