L’histoire n’est pas anecdotique. Elle reflète des transformations profondes, ces dernières années, au sein des grandes institutions capitalistes que sont le FMI, la Banque mondiale (BM), le Forum économique de Davos ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Ces organisations, entre plusieurs autres, ont récemment multiplié des études remettant sérieusement en question les dogmes dominants du néolibéralisme et de la pensée économique néoclassique, qui règnent sans partage dans l’espace public depuis la fin des années 1970. Trois grandes questions attirent l’attention: les politiques d’austérité, la montée des inégalités de revenu et de fortune et les changements climatiques.
Alors que le FMI, la BM et la Banque centrale européenne (BCE) ont violemment imposé des mesures de réduction de dépenses gouvernementales et la privatisation de services publics ou de sociétés d’État, notamment en Grèce, elles questionnent depuis quelques mois leur efficacité réelle. Le FMI, par exemple, montrait dans une étude publiée en mars 2014 que ces politiques d’austérité ne fonctionnent tout simplement pas: elles ne favorisent ni la croissance économique ni l’assainissement des finances publiques. Le constat est grave, sachant que ces mesures que le FMI a imposées ont créé de nombreuses souffrances humaines partout sur le globe.
Parallèlement, ces mêmes organisations ont clairement reconnu que ces politiques créaient davantage d’inégalités, lesquelles nuisent à la croissance économique. Dans une autre étude publiée en juin 2015, le FMI analysait les causes et conséquences de la montée des inégalités économiques. En gros, elles trouvent leur origine dans la disparité accrue des compétences professionnelles induites par l’utilisation des technologies et des politiques publiques inadéquates – lire: les mesures d’austérité. Elles causent de l’instabilité et font chuter la croissance économique, comme l’a également montré, notamment, une analyse de l’OCDE publiée en décembre 2014.
Finalement, ces organisations reconnaissent que les changements climatiques constituent – avec la montée des inégalités, d’ailleurs – l’un des plus grands risques pour l’économie mondiale. Or, comme on le sait, ils résultent de l’exploitation et de la consommation des combustibles fossiles, pétrole, charbon et gaz. Ainsi, Christine Lagarde, présidente du FMI, affirmait au Forum économique de Davos en janvier 2013 que les changements climatiques représentent «le plus grand défi économique du XXIe siècle», et que si nous n’y remédions pas, les générations futures seront «rôties, toastées, frites et grillées». C’est, du reste, la conclusion du Forum économique mondial de Davos qui classe les changements climatiques parmi les cinq plus grands risques pour la planète, tout comme le fait la BM.
Il existe manifestement un mouvement important au sein de ces organisations, sinon une lame de fond, qui remet en question les principes fondamentaux du néolibéralisme. Plus précisément, c’est ce qu’on a appelé le «Consensus de Washington» (c’est-à-dire, pour simplifier, les politiques d’austérité ou l’idéologie néolibérale) qui est battu en brèche, aux côtés de l’urgence de régler la question des changements climatiques, causés par le carburant, au propre comme au figuré, du capitalisme contemporain.
Quel sens donner à tout cela? Bien évidemment, le FMI, la BM, l’OCDE ou le Forum de Davos ne sont pas transformés en organisations révolutionnaires socialistes. Lorsque le FMI se demande si on n’a pas exagéré les mérites du néolibéralisme, il s’inscrit dans une logique de perpétuation de l’ordre établi, du statu quo, en déplaçant le champ lexical de son discours. À cet égard, Jonathan Ostry et ses collègues font preuve de ruse très raffinée. Constatant la grogne populaire de plus en plus grande, depuis la crise de 2008, ils tentent d’évacuer du vocabulaire ce vilain mot de «néolibéralisme», mais sans proposer de changements radicaux. Le même phénomène se retrouve dans la lutte aux changements climatiques ou aux inégalités.
Certes, il y a là un appel sérieux à transformer nos modes de production et de consommation, par exemple en réduisant réellement nos émissions de gaz à effet de serre. Ces transformations sont toutefois récupérées dans une logique capitaliste la plus classique. Si les membres de l’élite économique mondiale se préoccupent des changements climatiques, ça n’est pas parce qu’ils sont soudainement devenus des disciples de John Muir et de Henry David Thoreau: c’est qu’ils coûtent déjà une fortune aux compagnies d’assurances, en paiements suite à des catastrophes naturelles (et que ça ne fera qu’empirer dans un futur rapproché).
Le capitalisme marchand a, depuis sa naissance, développé une formidable capacité à récupérer à peu près toutes les sphères d’activité humaine. Si on doit tout de même souligner que le texte du FMI montre l’importance de ne pas appliquer le principe du one size fits all en matière de politiques économiques, il n’en demeure pas moins qu’on cherche à corriger le tir à la marge et que les fondements mêmes du capitalisme ne sont pas remis en question. Il en va de même des appels à la décarbonisation de l’économie ou à la réduction des inégalités: on cherche au final à sauver le capitalisme de lui-même, un phénix qui renaît sans cesse de ses cendres.