«Le racisme, c’est un problème qui est toujours présent, mais on en parle très peu, et quand on le fait, c’est difficile de faire sortir la conversation de Montréal, alors que c’est un enjeu qui touche tout le monde», explique Émilie Nicolas, doctorante en anthropologie et l’une des initiatrices de la lettre ouverte parue dans La Presse dénonçant le racisme systémique et demandant une commission sur le sujet.
Pour la présidente de Québec inclusif, le nœud du problème, c’est de nommer le racisme, d’admettre qu’il est présent dans plusieurs sphères de la société (culture, médias, politique, justice, marché du travail, etc.), et surtout, de dépersonnaliser le débat. «Ça rend les gens inconfortables d’en parler, et on le prend souvent de façon très personnelle, alors qu’on parle d’un débat collectif. Le dialogue est donc parfois difficile» confie Mme Nicolas, «mais c’est important de changer la conversation. Que ça cesse d’être un débat moralisateur et individualiste, et que ça devienne un projet collectif pour mettre en place des valeurs d’égalité et de justice», ajoute-t-elle.
Fort d’une mobilisation de plusieurs groupes qui se battent pour des enjeux tels que le profilage racial ou la discrimination à l’embauche comme Montréal-Nord Républik ou le collectif Montréal Noir (né à la suite de la mort de Jean-Pierre Bony, tombé sous les balles des officiers du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), le collectif espère qu’une commission sur le racisme systémique permettra d’avoir une vue d’ensemble sur cet enjeu délicat dont personne ne veut parler.
Changer le système
Pourtant, les exemples pleuvent de la présence de racisme dans la société québécoise, et de non-inclusion des personnes racisées dans nombre de domaines. «Ce n’est pas normal qu’il y ait si peu de personnes racisées employées dans la fonction publique, qu’il y en ait seulement 312 chez Hydro-Québec sur 20 000 employé-e-s, que moins de 1% des employé-e-s de la Sûreté du Québec le soient», se scandalise Will Prosper, porte-parole de Montréal-Nord Républik, militant et activiste, également initiateur de la pétition.
Celui qui avait d’abord demandé une enquête publique indépendante entourant la mort Fredy Villanueva la mettant le lien avec le profilage racial s’est rapidement rendu compte que cet enjeu s’étendait plus largement que juste dans le rapport aux forces de l’ordre, et que dès lors, il fallait exiger plus. «Il y a trois juges noirs sur 500 au Québec. La seule juge qui a rendu une décision admettant qu’il y avait du profilage racial est une juge noire! À la chaîne de radio, 98,5, la «radio parlée de Montréal», il n’y aucune personne racisée dans les animateurs (majoritairement des hommes). Même chose à la Première chaîne de Radio-Canada», continue de s’insurger M. Prosper.
Pour le documentariste, il s’agit d’un travail de longue haleine, porté depuis longtemps par nombre d’organismes et de personnes sur le terrain, pour trouver des solutions. Mais pour ce faire, il faut d’abord identifier les problèmes, et accepter d’en parler. «Je crois que la commission va permettre ça et qu’après, des réformes pourront être apportées. La façon reste à définir, mais il faut des changements», affirme-t-il.
Endossé par Projet Montréal, Québec solidaire, plusieurs élus du Parti Québécois et du Parti libéral, le collectif doit rencontrer la ministre Kathleen Weil au cours du mois du juin, même si seul Philippe Couillard peut autoriser la commission de consultation. Plus de 900 personnes ont signé la pétition jusqu’à maintenant.
Il n’existe aucune politique de lutte contre le racisme au Québec, alors que l’Ontario vient de créer un bureau gouvernemental antiracisme, qui a pour but d’étudier toutes les politiques mises en place afin de s’assurer de leurs aspects inclusifs. Le gouvernement fédéral vient également d’annoncer une commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées, après près de 10 ans de mobilisation citoyenne. Émilie Nicolas espère que ça ne prendra pas autant de temps pour qu’une commission sur le racisme systémique soit mise en place.
«Nous pensons qu’il y a une opportunité pour le gouvernement d’avancer et d’entériner ce qu’on propose, notamment à cause de la politique-cadre qu’il a déposé en mars en matière d’immigration, de participation et d’inclusion, qui n’a pas été renouvelé depuis 1994. Beaucoup de choses restent floues là-dedans, donc ce serait à leur avantage d’utiliser ce qu’on met présentement sur la table» selon Mme Nicolas.
«Présentement, des citoyens et des citoyennes sont brimé-es de leurs droits, à cause de la couleur de leur peau; on se doit de prendre ça très au sérieux. C’est une responsabilité envers notre société», conclut M. Prosper.