Cependant, ce que la Parti Québécois de ma génération, celui des années 2000, a longtemps appelé «souveraineté», je l’appelle (c’est certes moins élégant, mais vous allez voir, c’est beaucoup plus précis) «séparation du Québec d’avec le reste du Canada». Pourquoi faire une distinction entre les deux? C’est que je crois que la séparation du Québec n’amènera pas nécessairement une plus grande souveraineté du peuple québécois.
Je suis allée regarder sur le Petit Larousse en ligne parce que, malgré que je sois assez vieille pour avoir une version papier, elle est prise sous mon portable pour rendre mon poste de travail plus ergonomique (#scandale). Et aussi parce qu’on ne m’a pas appris ces choses-là à l’école, trop occupée que j’étais à disséquer de pauvres tortues qui n’avaient rien fait à personne et à écouter des CDs de chants d’oiseaux en boucle. Et finalement parce que, quand j’étais au primaire, la bollée de la classe commençait toujours ses présentations orales par une définition du dictionnaire et que je veux être sûre d’avoir raison dans ce débat que vous ne savez pas que nous avons, comme la bollée de la classe.
BREF, j’ai regardé sur ce Larousse pour paresseux et ça disait que la souveraineté, c’est le «[p]ouvoir suprême reconnu à l’État, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l’ordre international où il n’est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe)». Or, je doute que la séparation du Québec d’avec le reste du Canada soit nécessaire et encore moins suffisante à l’atteinte de ces deux objectifs. Je m’explique.
Mardi dernier, lors de votre entrevue avec Michel C. Auger sur les ondes d’ICI Radio-Canada première, vous avez parlé de l’importance «de pouvoir parler de notre propre voix au Québec plutôt que de chuchoter à l’oreille du Fédéral» lorsque vient le temps de s’exprimer sur des enjeux internationaux, tels que la solidarité et l’environnement (souveraineté externe).
Je me demande d’abord qui est ce «nous»? Les élites politiques et économiques? Ou vous parlez de la population québécoise? Si c’est le cas, comment comptez-vous faire entendre notre voix, autrement qu’en nous proposant de choisir entre trois package deals une fois au quatre ans? Comptez-vous instaurer des référendums réguliers, des assemblées de quartier, des forums citoyens? Il faudra être plus précise, Mme Hivon, car les gens n’ont que faire de savoir que les Philippe Couillard et François Legault de ce monde aient à chuchoter quoi que ce soit, ou même à se tenir sur la tête pour faire avancer leurs intérêts particuliers à Ottawa! La «confiance» des citoyens, sur laquelle vous mettez tant l’accent depuis votre entrée en course, elle ne se demande pas, elle se gagne.
Ensuite, je me demande en quoi un «nous» québécois est plus vrai qu’un «nous» canadien. Quand j’ai émigré ici en 1995 (!), j’étais d’abord trop jeune pour comprendre ce qui se passait et, ensuite, je me suis dit que ça ne me concernait pas. Jusqu’à ce que j’aille au cégep anglophone et que je sente l’altérité. Il y avait un «nous» imaginé comme français, moins conservateur, moins charitable, plus progressiste et plus politique, et un «eux» anglais (ça, c’est parce que je n’avais pas encore connu les queer vegan de Concordia). Alors je suis devenue une «séparatiste d’avec le reste du Canada». Et pourtant, quelle grave erreur! Si nous nous étions séparés, nous les aurions emportés avec nous, ces gens si «différents». De toute façon, en déménageant dans Côte-des-Neiges après mon un premier cycle universitaire, j’ai découvert qu’il y avait des gens bien plus «différents» au Québec, alors que je me trouvais parfois à être la seule blanche francophone dans l’autobus. Doit-on se séparer de Côte-des-Neiges aussi? Ou veut-on se séparer des anglo-canadiens spécifiquement, justement parce qu’ils seraient moins progressistes, et engloutir la minorité qui se trouve de notre côté des frontières dans notre majorité «sociale-démocrate»?
Si vous voulez nous en convaincre, il faudra que vous vous prononciez clairement sur plusieurs enjeux dont vous n’avez jusqu’à présent que parlé du bout des lèvres, comme l’exploitation des hydrocarbures, la Charte de la laïcité et la hausse du salaire minimum à 15$ de l’heure. Historiquement, les Québécois n’ont pas toujours été ceux qui tiraient sur la manche gauche du Canada. Considérons un exemple récent : Jean-François Lisée se vante, sur le site du Parti Québécois, qu’«[u]n des plus grands accords de libre-échange de l’histoire récente, l’ALENA, n’existerait tout simplement pas sans le poids politique mis dans la balance par le Québec il y a bientôt 30 ans».
Non seulement on ne convaincra personne que le marché global soit une panacée pour l’environnement, avec tous ces chassés-croisés absurdes de marchandises d’un bout à l’autre de la planète, mais surtout, il apparaît comme une menace bien plus sérieuse à notre souveraineté que ne le sont les anglo-canadiens! En effet, le chapitre 11 de l’ALENA a institué le droit «au profit» en vertu duquel la compagnie Lone Pine Resources poursuit aujourd’hui le gouvernement fédéral pour 250 millions de dollars. Selon elle, le moratoire québécois sur le gaz de schiste constituerait une «révocation arbitraire, capricieuse et illégale».
Si le Québec avait été séparé du Canada il y a 30 ans, j’en comprends qu’il aurait signé ces accords de libre-échange (souveraineté externe) qui l’auraient ironiquement empêché, 30 ans plus tard, de décider librement du sort des ressources se trouvant sur son territoire (souveraineté interne). En plus de la mondialisation, la financiarisation du capitalisme nous rend également très vulnérables face aux agences de notation. Ces organisations privées se chargent entre autres d’évaluer la capacité de remboursement des États. Une mauvaise note peut entrainer une augmentation des taux d’intérêt sur la dette d’un pays, ce qui peut avoir un impact dramatique sur ses finances. Pour éviter une telle situation, les gouvernements vont se plier aux recommandations des agences de notation en élaborant par exemple des budgets que ces dernières jugeront satisfaisants pour une bonne capacité de remboursement. En 2012, le budget du gouvernement Marois aurait été élaboré de façon à apaiser les rumeurs de possible décote de la dette du Québec.
Mme Hivon, alors que vous appelez votre parti à revenir à ses bases, celles des années 70, force est de constater que les choses ont bien changé depuis. À l’ère du capitalisme mondialisé et financiarisé, la séparation du Québec n’est plus nécessairement synonyme de souveraineté. Si vous voulez nous convaincre qu’elle le serait sous votre gouverne, il faudra être plus précise quant aux stratégies économiques (face aux accords de libre-échange et aux agences de notation, par exemple) et politiques (notamment par rapport à la démocratie participative) que vous compterez mettre de l’avant. Parce que si le référendum est un moyen en vue de la séparation du Québec, cette séparation est elle-même un moyen dont il faudra juger la pertinence à sa capacité de réaliser la véritable fin de ce projet, soit que les Québécois et les Québécoises puissent reprendre du pouvoir sur leur vie.
Merci à Arnaud Theurillat-Cloutier pour ses réflexions sur le libre-échange dans le texte Le libre-échange est-il un « doux commerce »?