J’avais vraiment hâte d’écouter le segment en baladodiffusion, ce que je fis quelques jours après la diffusion «live». Et là, j’ai éprouvé une profonde déception, suivie d’un gros malaise. Mettons que ça ne s’est pas du tout passé comme je l’imaginais. J’irais même jusqu’à dire que ça ne s’est pas bien passé du tout!

Tout au long de l’écoute, j’entendais croître l’irritation de l’animateur et je me disais : «ben voyons, ben voyons, ben voyons donc!!?». On aurait dit un nouvel animateur tellement ce n’était pas le Jean-Philippe Wauthier d’ordinaire charmant, plein d’humour et de répartie. J’entendais plutôt un gars cassant, rigide, inconfortable et visiblement déstabilisé.

Tout au long de l’écoute, j’entendais croître l’irritation de l’animateur et je me disais : «ben voyons, ben voyons, ben voyons donc!!?»

Pour la première fois depuis les tous débuts de l’émission il y a quatre ans, l’animateur a semblé se fâcher pour de vrai. Et, honnêtement, je n’ai pas compris. Est-ce un malentendu?

À mon sens, l’humour ironique employé par les brutes sied tout à fait au ton baveux de l’émission. En plus, des invités déstabilisants, ce n’est pas ce qui a manqué cette saison. Je pense notamment au passage de Sexe illégal, le duo d’humoristes qui ne sort jamais de ses personnages, même en entrevue, et répond invariablement par l’absurde à toute question, quelle qu’elle soit. Eh bien ça n’avait pas semblé désarçonner l’animateur, bien au contraire, il avait sauté dans le train sans problème. Alors pourquoi ce deux-poids deux mesures?

Eh bien parce que, dernière l’ironie des brutes, se cache une vérité dérangeante.Les discriminations systémiques que subissent les femmes sont le matériau à la source de leur humour engagé et décapant. Lâchons le mot, ce sont des féministes. Elles dérangent à dessin, un peu à l’image de ce que font les Zapartistes depuis 15 ans, ou, plus récemment, l’humoriste Fred Dubé.

Les discriminations systémiques que subissent les femmes sont le matériau à la source de leur humour engagé et décapant.

En passant, trois membres masculins des Zapartistes ont été reçus récemment à La soirée, un passage sans anicroche. Fred Dubé aussi y a été reçu l’an dernier, par l’animateur suppléant Pierre Brassard (tout s’était déroulé à merveille).

Mais, alors, pourquoi alors cet accueil bienveillant pour les Zapartistes et Fred Dubé et cette hostilité envers Les brutes? Pourquoi Jean-Philippe Wauthier était-il autant sur la défensive avec Lili Boisvert et Judith Lussier?

J’ose une explication. Je crois que l’animateur est tout simplement mal à l’aise avec le féminisme. Qu’inconsciemment, il se sent vaguement visé, comme injustement accusé. Et vous voulez que je vous dise? Je pense que c’est un peu normal. Oui, c’est normal de ressentir un inconfort.

Laissez-moi vous raconter quand la jeune féministe verte, naïve et bien intentionnée que j’étais a découvert la notion d’intersectionnalité. Moi, femme, donc victime de discriminations systémiques comme l’écart salarial, la discrimination à l’embauche fondée sur la maternité, moi qui compte parmi les 83 % de victimes d’agressions sexuelles au Québec… Moi, une privilégiée? Ben voyons donc! Les privilégiés dans notre société, ce sont les hommes, pas les femmes!

Oui, mais non.

J’ai mis quelque temps à comprendre qu’une femme noire et lesbienne, par exemple, est victime d’oppressions croisées. Qu’en étant non seulement femme, mais aussi issue des minorités culturelles et sexuelles, les discriminations que sont le sexisme, le racisme et l’homophobie s’additionnaient. Donc oui, en tant que blanche et hétérosexuelle, je représente les femmes privilégiées, même si je suis victime de sexisme systémique. Vous me suivez?

Il est ainsi. Que faire alors? Empathie et solidarité 101 : accueillir cette vérité et demeurer humble. Ne pas croire que je parle au nom de toutes les femmes, les laisser se définir, respecter l’agentivité de chacune.

L’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne

En repensant à mon propre privilège et au malaise flagrant de Jean-Philippe Wauthier devant le féminisme des brutes, ça m’a rappelé le cheminement d’un ami sur les questions féministes.

Il y a environ deux ans, il se disait très mal à l’aise avec la notion de privilège. Ce qui est comique, c’est qu’en tant qu’homme nouvellement féministe assumé, il reconnaissait les discriminations que subissent les femmes, mais pas son propre privilège à lui. Grosso modo, il disait «moi, tout ce que je veux, c’est que tout le monde soit égal». Sauf que, pour paraphraser l’ami Koriass lors de nos conférences, c’est justement le privilège d’un groupe qui est à la source des injustices vécues par l’autre.

Eh bien, plutôt que de juger mon ami, de lui tomber sur la tomate ou d’essayer de faire entrer des idées de force et de mauvais gré dans sa tête, je lui ai dit que l’important était qu’il soit féministe, qu’il n’était pas obligé d’accepter tous les concepts et de les maîtriser. Je ne l’ai pas jugé, je l’ai accueilli. Du coup, il ne s’est pas braqué, il a continué ses lectures de son côté, à son rythme.

Aujourd’hui, il comprend fort bien la notion de privilège. Il est devenu un véritable allié. Il n’empêche, sa première réaction avait été le rejet. C’est ce qui me fait croire que tout n’est pas perdu, que Jean-Philippe Wauthier va peut-être cheminer, lui aussi.

Et qui sait, peut-être que ça se passera mieux la prochaine fois quand Lili et Judith retourneront sur le plateau. Parce que ce serait vraiment gentlemen de la part des gars de La soirée de les réinviter après ce passage raté où elles ont été si mal accueillies.