Du côté démocrate, même si l’avance de Hillary Clinton se creuse, Bernie Sanders a brouillé les cartes. Il y a de quoi être surpris, puisque le candidat s’appuie sur un discours ouvertement « socialiste » – un mot très péjorativement connoté aux États-Unis.

Je réside actuellement à Rochester, jadis un fleuron de l’économie de l’État de New York à l’époque où Kodak et Xerox, compagnies originaires de cette ville, se portaient mieux. Son électorat est avide de projets qui endigueraient le chômage virulent affectant la région. J’ai saisi l’occasion de me rendre aux « rallyes » de ces deux candidats peu orthodoxes, curieux à la fois d’entendre leurs discours et de constater à quoi ressemblent leurs partisans et partisanes. En tant qu’observateur, voici mes impressions sur ces deux événements. Fait étonnant, ce qui m’a le plus frappé dans les deux cas était surtout relié à l’organisation des événements, qui en dit beaucoup sur l’attitude des candidats face à leurs partisans.

Chez Trump

Le rallye de Trump avait lieu un dimanche après-midi dans un hangar d’aéroport, avec tout le charme qu’un tel endroit peut avoir. Je m’y suis rendu avec une certaine appréhension. Les événements publics de sa campagne ont été perturbés à plusieurs reprises par de nombreux manifestant-e-s: le tumulte a atteint son point culminant il y a quelques semaines à Chicago. Même si je jouis d’une triple immunité en ma qualité d’« homme-blanc-hétérosexuel », mon accent canadien-français est impossible à dissimuler. J’ai donc décidé de me tenir coi de manière pour ne pas attirer l’attention sur mon « exotisme ».

Suite aux incidents de Chicago, la campagne de Trump a quelque peu restreint l’accès à ses événements. Il faut dorénavant demander un billet en s’inscrivant en ligne — sans doute une manière de dissuader les contestataires et d’ajouter au passage de nombreux courriels à la banque de données de la campagne. Ensuite, il n’y a pas d’accès direct au site de l’événement : il faut plutôt stationner son véhicule à des kilomètres du lieu du rassemblement et effectuer un trajet en autobus afin d’y accéder.

Donald Trump, qui n’hésite pourtant pas à étaler sa fortune, est moins généreux quand vient le temps de dépenser pour son organisation politique.

Ce choix logistique a une conséquence importante : il augmente considérablement le temps d’attente avant de pouvoir assister à l’événement. Donald Trump, qui n’hésite pourtant pas à étaler sa fortune, est moins généreux quand vient le temps de dépenser pour son organisation politique. Malgré une foule attendue de 18 000 personnes inscrites en ligne, seuls cinq autobus scolaires assuraient la navette entre le point de cueillette et l’événement, occasionnant une attente de 90 minutes en moyenne.

La très lente procession de la file donnait l’occasion à des vendeurs de proposer une pléthore de produits aux couleurs du candidat rebelle – il va sans dire que l’orange prédominait. Macarons, chandails, bannières et autres gugusses arboraient d’ailleurs des slogans que la décence m’empêche de reproduire ici.

Macarons, chandails, bannières et autres gugusses arboraient d’ailleurs des slogans que la décence m’empêche de reproduire ici.

Une fois sur place, j’ai constaté que la foule n’était pas composée en majorité de dévot-e-s scandant « Trump » à la première occasion, contrairement à ce que j’imaginais. Certes, les gens massés à proximité du podium semblaient sous l’emprise d’un culte de la personnalité, mais pour le reste, bien que quelques personnes aient de toute évidence succombé à la tentation de s’acheter un produit promotionnel en attendant l’autobus, les applaudissements étaient parsemés et timides. J’ai même aperçu des gens ouvertement réfractaires aux propos tenus par le candidat. Après avoir entendu Trump réitérer sa promesse de faire payer par le gouvernement mexicain la construction d’un mur au sud de la frontière des États-Unis, un type a crié à plusieurs reprises « HOW? TELL US HOW! »

Le discours en soi était, au final, assez ennuyant. Trump est un orateur très candide qui ne souffrirait pas de réciter un discours pré-écrit, notamment parce qu’il adore le son de sa propre voix. Cela résulte en des propos décousus et tronqués – il se coupe lui-même la parole – où il a beaucoup insisté sur la complexité du système des primaires républicaines et la malhonnêteté des médias à son égard. Sans surprise, son discours sur «la misère des riches» ne résonnait pas autant aux oreilles de la foule que lorsqu’il promettait des emplois à tous les chômeurs. Après une heure de vantardises en tous genres et d’attaques dans toutes les directions, il a conclu en assurant à la foule que « voting for me next Tuesday will be one of the best days of your life ». Rien de moins.

Le fait saillant du rallye est survenu au moment de repartir. Aucune forme de logistique ne semblait avoir été mise en place pour préparer le retour à la maison des milliers de participant-e-s, si bien qu’une masse de gens s’est rapidement entassée à proximité du point de cueillette des cinq – cinq! – autobus et se bousculaient sans ménagement afin de monter à bord des véhicules ne suffisant pas à la tâche. Les autorités locales – dont le salaire n’était pas défrayé par la campagne de Trump – ont essayé tant bien que mal d’improviser un ordre, mais il fallait s’armer de patience et compter sur la chance afin d’espérer revenir à son véhicule avant que le soleil ne se couche.


Cette organisation bâclée est emblématique de la campagne de Trump.

Cette organisation bâclée est emblématique de la campagne de Trump. Soucieux de réaliser une économie de bout de chandelle, le milliardaire a mis à la disposition de ses partisans et partisanes un nombre d’autobus insuffisant pour mener une opération de transport acceptable. Une fois la foule arrivée, Trump est prêt à faire les déclarations les plus absurdes et irréalistes afin de susciter les applaudissements et stimuler son ego. Puis, une fois cette transaction à sens unique terminée, il repart chez lui en limousine en ne se souciant guère du confort ou de la sécurité des masses s’étant déplacées pour l’entendre.

Beaucoup de personnes autour de moi, dans l’attente pénible d’un autobus, ont passé des remarques désobligeantes sur ce manque de respect de la part du candidat pour son électorat. J’espère que ceux et celles qui n’ont rien dit ont tout de même pris conscience qu’un homme qui n’est pas fichu de prévoir une gestion de foule pour un événement local venait de leur demander de lui faire confiance pour assurer le contrôle d’un des pays les plus puissants au monde.

« Feeling the Bern »

Par contraste, l’événement de Bernie Sanders se tenait sur un campus universitaire en bordure de la ville et accessible en voiture. Les supporters étaient rassemblés dans un aréna de hockey à une distance à pied des vastes stationnements du campus, et le discours commençait à 10h du matin – plage horaire qui n’incommode pas outre mesure les étudiant-e-s, les chômeurs et chômeuses et les retraité-e-s.

Malgré un nombre de participant-e-s aussi élevé que lors de l’événement de Trump, l’attente pour accéder à l’aréna de hockey où avait lieu le discours a été beaucoup moins longue. S’il se trouvait également – mais en moins grand nombre – quelques kiosques proposant de la marchandise affichant le slogan « FEEL THE BERN », le public était davantage sollicité pour gonfler les rangs des bénévoles de la campagne en vue du prochain vote.

À l’intérieur, une foule plus disparate sur le plan du genre, de l’origine ethnique et de l’âge a réagi à chacune des déclarations du candidat avec une énergie et un volume habituellement réservés aux pop stars. C’est lors de cet événement que j’ai assisté à un culte de la personnalité en action : la foule était unanimement délirante et enthousiaste, portée par une énergie essentiellement positive, mais qui faisait frémir lorsque les huées remplaçaient les applaudissements.

Sanders était mieux préparé que Trump, dans la mesure où il disposait de bullet points qu’il abordait avec passion en parlant au « nous ». Le discours de l’ancien maire de Burlington était plus long que celui du milliardaire, mais il faut dire que qu’il a pris le temps de mentionner un par un les groupes opprimés ainsi que les injustices et inégalités les plus flagrantes de la société américaine!

À la sortie de l’événement, pas de mauvaise surprise : seulement des partisan-e-s ivres d’espoir qui, à voix haute, se promettent mutuellement de mettre quelques heures à la disposition de l’opiniâtre candidat démocrate d’ici le scrutin de la semaine suivante.

Affinités…

Les deux hommes ont en commun une coupe de cheveux qui sort de l’ordinaire! À ma grande surprise, j’ai également dénombré quelques similitudes dans les discours des deux candidats : dénonciation des grands médias, critique d’un système politique qui les désavantagerait directement, rejet des traités de libre-échange et opposition revendiquée à la guerre en Irak.

Les deux hommes ont en commun une coupe de cheveux qui sort de l’ordinaire!

Dans les deux cas, les discours portaient presque exclusivement sur la question du « quoi », mais restaient muets sur le « comment ». À force de promettre beaucoup sans s’attarder sur les procédures qui permettraient de mettre en place les solutions miraculeuses aux problèmes qu’ils promettent de régler, les deux candidats ont fini par me donner l’impression que les lendemains qui chantent qu’ils promettent à leur auditoire relèvent de la pensée magique.

…Et contrastes

Ce serait de mauvaise foi d’affirmer que l’objectif de ces événements n’était pas de présenter leurs programmes respectifs. Au demeurant, l’intention de leurs discours n’était pas la persuasion; ils supposaient (avec raison dans le cas de Sanders et à tort dans le cas de Trump) qu’ils prêchaient aux convertis. L’opération visait plutôt à galvaniser les troupes en vue de la dernière étape de la campagne électorale locale.

Et c’est sans doute à ce titre que le contraste entre les deux candidats est le plus évident.

Exploitant la longue attente qu’il provoque par la flotte insuffisante de navettes mises à la disposition de ses partisans, Trump leur donne l’occasion de se procurer des produits promotionnels à son effigie. La publicité est sa principale préoccupation, comme c’était le cas avant son entrée en politique. Il semble que cela demeure à la fois sa priorité et sa stratégie préférée.

À l’opposé, Sanders fait appel à la générosité de ses partisans, qui, s’ils n’ont pas les poches assez profondes pour faire des dons rivalisant avec ceux des bailleurs de fonds de sa rivale, disposent en revanche de ressources inépuisables de conviction et de volonté de changement.

Reste à voir si cette volonté de faire les choses autrement portera fruit. À l’heure actuelle, Sanders admet du bout des lèvres qu’une victoire face à Hillary Clinton devient de plus en plus difficilement envisageable ; dans l’autre camp, bien qu’il jouisse d’une avance confortable, Trump fait face à une opposition tenace de la part de l’establishment républicain.

Même en cas d’échec, Sanders et Trump auront au moins sorti la politique américaine du marasme de la prévisibilité et soulevé des questions qui feront à nouveau surface lors des élections générales, en novembre.

Gabriel Gaudette, Rochester, New York