J’ai rencontré Hugo dans un petit café de Rosemont-La-Petite-Patrie pour parler de ce projet. Voici quelques fragments de ce qu’il m’a dit :
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Pour qu’un pays existe, il faut commencer par le raconter, le nommer, disait en substance Pierre Perrault. C’est le travail des créateurs que de mettre au monde des « pays », de nous dire « voici ce que nous pouvons être! ». Dans République: un abécédaire populaire (2011), je suis parti à la rencontre de créateurs, d’intellectuels et d’autres lumineux québécois en m’adonnant avec eux à une chasse aux mots nouveaux, aux mots qui fusent, aux mots avec un pays en-dedans. Avec cette l’exposition, je poursuis en quelque sorte cette chasse aux mots pour nous fonder l’espoir, pour essayer de nous patenter une nouvelle narration du monde. Je pense que pour faire face aux défis de notre temps et notamment pour contrer le capitalisme qui a perdu toute forme de mesure et de bon sens, il va falloir de toute urgence nous créer une langue nouvelle avec des temps de verbe au futur accéléré pour que les choses bougent un peu plus vite que prévu.
(2)
Le grand poète uruguayen Eduardo Galeano disait « pendant que la gauche s’entredéchire, la droite joue au golf! ». Il faut apprendre à tisser des liens entre les mouvements de la société civile. Nous avons une tendance fâcheuse au fractionnement, sur le flanc gauche. Je pense qu’il faudra se méfier des petites cases parce que cela peut contribuer à nous faire perdre beaucoup. Et comme nous le rappelle Gabriel Nadeau-Dubois, dans l’exposition, le Printemps érable nous montre qu’on peut être victorieux en travaillant ensemble. En faisant corps. Avec 25 × la révolte!, je tente de nous passer un fil conducteur dans le corps, entre des mouvements de révolte des quatre coins de la planète; et pis j’essaie de tracer un certain portrait de notre génération politique. Là, il faut rire un peu! Ne pas trop se prendre au sérieux non plus. Ce genre d’exercice est toujours bourré d’oublis et de raccourcis, s’entend… Je le sais bien. Ce projet s’inscrit d’ailleurs en continuité avec ma série documentaire, Théâtre des opérations (2015), où j’ai suivi des artistes incroyables d’une foule de continents qui nous donnent des clés pour inventer une nouvelle époque.
(3)
Les Québécois s’intéressent peu à l’international? Les cotes d’écoute baissent quand on en parle à la télévision parce que ceux qui s’y intéressent sont précisément ceux qui n’ont pas de télévision? C’est un peu vrai… et c’est un combat — souvent contre nos propres télévisions publiques — à mener tous les jours que de demeurer citoyens du monde. « Pour bâtir un pays, il faut commencer par se raconter le monde au quotidien en espérant le comprendre… Et qu’on ne nous parle plus de cotes d’écoute lorsqu’on parle d’intérêt général »! Pour l’expo, j’ai tourné dix-huit entretiens, pour lesquels j’ai notamment interviewé un ancien compagnon de lutte de Nelson Mandela, un ancien leader étudiant des manifestations de la place Tian’anmen, le sous-commandant Marcos (par personne interposée parce qu’il est aujourd’hui retiré de la sphère publique), un porte-parole des Indignés espagnols… Je pense que c’est d’abord la jeune génération qui se reconnaîtra dans cet espèce de chapelets de considérations qui sont la tasse de thé des enfants du millénaire, de plus en plus métissés, internationalistes et scolarisés : environnement, féminisme, droits autochtones, réforme de la démocratie, réforme du système économique, postcapitalisme…
(4)
David Suzuki me l’a dit candidement lors de notre entretien: « j’étais à l’OSM, hier, et je me demandais : comment une seule et même espèce peut-elle créer autant de beauté et s’obstiner à perdre deux heures de sa journée dans une caisse de fer immobilisé dans le trafic, tous les jours de sa vie? Honnêtement, je ne comprends pas ça! ». Je crois que le beau est subversif. Ces temps-ci, d’ailleurs, je lis moins d’essais politiques, moins de nourriture cartésienne et je suis plus dans l’art, dans la recherche de la beauté. D’une forme nouvelle. De nouveaux langages. Je ne suis pas certain que notre raison suffira à nous transformer, à nous basculer l’époque. En fait, je crois que c’est l’expérience du beau, du complexe et sa fréquentation… qui donnera l’envie et l’élan de « changer de vie » et de transformer la société en une œuvre en soi, une œuvre collective qu’on se fera belle. Et vraie.
(5)
Les visiteurs de l’exposition, comprise comme un rendez-vous dans l’agora de notre cité, seront d’ailleurs invités à passer à l’action lors de leur passage entre les murs du Musée de la civilisation de Québec. Ils auront en effet l’occasion de contribuer à la rédaction d’une constitution écrite, avec 25 articles, qui devrait être publiée à la fin de l’exposition… ce sera notre légende du monde futur. Cette œuvre de prospective collective sera le clou de l’expérience proposée par l’exposition.
- Ce sont d’abord les films d’Hugo Latulippe (notamment ses Manifestes en série, 2008) qui m’ont donné envie d’étudier à temps plein les tentatives citoyennes de construire, au Québec, une économie postcapitaliste mettant résolument l’humain avant le capital — ce que nous sommes plusieurs à appeler « l’économie sociale ». Avec cette exposition, je ne doute pas qu’il continuera de nous inspirer à bâtir un autre siècle de Lumières; à bâtir le pays circumpolaire de nos rêves en marchant.