Quand Judith Cayer parle du Bâtiment 7, on sent une patience sereine forgée par une longue lutte : «Jusqu’à la fin, c’est des microdétails qui n’en finiront jamais, tant que ça ne sera pas fini!», lance-t-elle en souriant. Cette fin, elle n’a pourtant jamais été aussi proche : il ne manque plus qu’une signature du Canadien National (CN), ancien propriétaire du terrain, afin d’obtenir la garantie légale avant que le Collectif 7 à Nous, où Judith Cayer est chargée de projet, puisse prendre possession des lieux.
La patience de la jeune femme, on la comprend mieux quand on égrène les longues années de revendications des résidents et résidentes de Pointe-Saint-Charles pour l’obtention de «leur» bâtisse. Dix, plus exactement, depuis la fronde populaire de 2006 qui a eu raison d’un projet de casino sur les anciens terrains du CN, en bordure de ce quartier enclavé de 15 000 âmes à peine, l’un des plus pauvres au Canada.
Cet épisode formateur amène les citoyens et citoyennes à émettre des propositions pour l’aménagement de ce terrain vague, obtenu pour 1 $ par le groupe Mach au début de la décennie 2000, et qui y planifie désormais un projet résidentiel. Le Bâtiment 7, un vieil entrepôt en briques jadis occupé par la compagnie ferroviaire Alstom, suscite l’intérêt de plusieurs groupes du quartier issus des milieux communautaire, anarchiste et artistique. C’est de l’union de ces organismes qui pensent parfois aux antipodes que nait en 2009 le Collectif 7 à Nous, dont la mission est simple : obtenir le B7, qui plus est, gratuitement, afin d’y aménager un espace de création, d’éducation et de partage autogéré.
Les erreurs du groupe Mach, notamment la démolition d’une partie de l’édifice, renforcent la mobilisation du collectif et lui permettent de gagner des soutiens politiques. Les négociations débouchent sur une victoire populaire en octobre 2012, lorsque le groupe Mach accepte de donner le B7 au Collectif * 7 à Nous*.
Une proposition ambitieuse
Depuis, les choses ont trainé. Judith Cayer le confesse, elle a trouvé cela «incroyablement long». À tel point que le projet de microbrasserie sur lequel elle travaille avec un groupe d’amis, les Sans-tavernes, a pensé un moment s’établir hors du Bâtiment 7. Mais la difficulté de trouver un local a eu raison de cette idée. Les Sans-tavernes ont donc virtuellement réintégré leurs pénates au B7, et Judith s’est lancé dans l’élaboration du plan d’affaires : «Ça m’a remotivée comme au premier jour!», image-t-elle.
Elle énumère les autres projets qui souhaitent se greffer au vieil entrepôt : «café-bar, magasin général, ateliers techniques collaboratifs et privatifs, coworking, espaces de bureaux, ateliers de danse…» Mais aussi un CPE, voire une maison de naissance. Et de lancer une autre ode à la patience : «C’est quelque chose qui va se réaliser sur 10 ans, peut-être 15. Ce n’est pas une boutique ou un projet d’art éphémère…»
En effet, le Bâtiment 7, c’est 90 000 pieds carrés et des travaux de réfection estimés à plus de 6,5 millions de dollars. La bâtisse est en mauvais état, ouverte à tous les vents depuis plusieurs années. Mais la question du financement est réglée, selon Judith : «Comme un projet d’économie sociale typique, ça va être un prêt qu’on devra rembourser. C’est un paquet de contraintes, mais le fait d’être autonomes des subventions nous donne aussi beaucoup de liberté.» Elle sait très bien dans quoi le collectif se lance : «C’est un projet pas évident à financer parce qu’on est dans l’anticonventionnel, mais en même temps, c’est de la brique… Il y a un terrain, il y a une bâtisse, il y a une garantie financière.»
Jongler avec différentes populations
À Pointe-Saint-Charles, un quartier en proie à l’embourgeoisement et où une nouvelle population, plus aisée que le traditionnel socle ouvrier, est avide d’implication communautaire, le B7 attire la curiosité. Mais Judith est consciente des risques que cela implique : «Le coworking, les ateliers techniques, les espaces culturels, c’est bien, mais l’étoile qui guide notre chemin, les choses les plus fondamentales qu’on a à réaliser, c’est des services de proximité, c’est de la sécurité alimentaire.» Un pôle alimentaire de 20 000 pieds carrés avec serre et marché est donc à l’étude, en collaboration avec la banque alimentaire Partageons l’espoir et le Club populaire des consommateurs, un organisme local de sécurité alimentaire.
Judith Cayer espère voir d’autres organismes communautaires se joindre à une aventure qui, d’après elle, symbolise l’avenir des projets alternatifs. Elle dit l’entendre dans toutes les conférences où on les invite, elle et sa passion, à venir parler du B7 : «Oui, c’est intéressant de verdir des ruelles, il faut continuer à faire ça, mais il faut passer à l’étape suivante : donner à nos propositions alternatives l’envergure dont elles ont besoin pour être véritablement des vecteurs de changement social. Même si c’est long.» À Pointe-Saint-Charles, voilà un bon moment qu’on sait que le futur mûrit lentement, mais sûrement.