Les Goules, ces petits démons de sexe féminin, sortent de nouveau de terre afin de vandaliser la paix des cimetières avec leur nouvel album Coma. Aux chants des sirènes et aux paroles, Keith Kouna, que certains ont peut-être connu à travers ses projets solos, a bien voulu répondre à nos quelques questions.
En amont…
― Hey, ça te dirait de faire une entrevue? Pour parler de vos textes, de votre vision du monde, de la politique…?
― OK.
― C’est compliqué, mais on devrait y arriver : je t’envoie les questions et…tu y réponds.
― Je vais regarder ça bientôt.
Une semaine plus tard…
Et encore une autre…
― Tab&%$k! Tes réponses font 11 pages!
― T’as ouvert une vanne, c’est toujours des maudites entrevues téléphoniques ou sur le coin d’une table et ils gardent trois lignes, donc je me suis laissé aller un peu… Parle parle jase jase!.. Mais on peut couper…
― Non, on coupe pas. Je ne vois pas pourquoi on devrait couper. Ce que tu dis est intéressant. Pourquoi il faut toujours aller vite? Au pire, les gens liront en plusieurs coups, c’est tout.
― Si tu le dis…
Faque ça donne ça.
Marc-André Cyr : Les textes des Goules sont depuis les premières années du groupe sensiblement dans la même veine. Dans un style très imagé, voire surréaliste, vous dénoncez toutefois un paquet de choses : la brutalité policière, la marchandisation des corps, le conformisme, la connerie… Pourtant, Les Goules sont avant tout perçues, arrête-moi si je me trompe, comme un groupe faisant dans l’absurde. C’est une image qui colle encore aux Goules?
Keith Kouna : Je ne sais pas trop c’est quoi l’image qui colle aux Goules!.. Le texte de la chanson Crabe, c’est pas mal n’importe quoi! Il y a une trame narrative, mais pas de second degré, pas de dénonciation, qu’une histoire d’un gars qui trouve un crabe, en fait son animal domestique et son ami, puis le tue parce qu’il se transforme en monstre, et finalement il est triste parce qu’il ne peut plus le présenter aux autres. Un genre de schizo en crise hallucinatoire. Certains ont pensé qu’on parlait de morpions! Disons que les débuts des Goules étaient très ludiques et qu’on se foutait vraiment pas mal du quoi, du pourquoi et du comment.
On sentait évidemment qu’on avait quelque chose, mais on était loin d’une démarche, d’un style, d’un but. On voulait juste avoir du plaisir et que les gens en aient quand ils venaient nous voir.Alors oui, il y avait des trucs qu’on pouvait qualifier «d’absurdes». En spectacle on faisait beaucoup d’impro et de conneries, on changeait de costumes, Rabin faisait un solo de couilles dans Ville et c’était de joyeux bordels… Mais on avait des bonnes tounes! Et malgré l’aura «d’absurde» et de «n’importe quoi» qui flottait sur nous, des pièces comme Taupe, Ville, Fétiche, C’est quoi ton son, et même Capitaine Robot étaient porteuses de sens, de ras-le-bol et de dénonciation, mais sans être «engagées» et précises. Pas besoin d’avoir un «message» pour dénoncer. Cracher des images, s’en crisser, avoir du plaisir, de la hargne, de l’énergie et de l’autodérision peuvent dénoncer davantage de choses que de «vouloir» dénoncer et être compris, d’être sérieux et «engagé».
C’était un exutoire pour nous et je pense que ça faisait du bien aussi aux gens qui nous écoutaient et qui venaient nous voir. On n’était pas «lourds» même si le propos n’était pas aussi con qu’il en avait l’air. Je pense que c’était notre force. On rejoignait les gens qui aimaient que ça brasse et que ce soit le party, mais on rejoignait aussi ceux qui tripaient sur les textes. On ne voulait pas être «punks», on ne voulait pas non plus être «littéraires» ou «poétiques», on voulait juste être spontanés et complètement libres. On prenait à peu près tout ce qui arrivait, j’écrivais très rapidement les textes en me basant sur les improvisations qu’on faisait, et on ne se posait pas trop de questions…
Y’a plein de façons de voir «l’absurde». Dire : «J’aime les trampolines dans des tartes aux fraises sur un skateboard en fleurs» c’est absurde. Ionesco, Beckett, Camus c’est de l’absurde. Donald Trump c’est de l’absurde…Les Goules ne faisaient pas de l’absurde, disons, comme Les Trois Accords ou les Denis Drolet, sans vouloir dénigrer le moindrement ce qu’ils font et faisaient. Tout peut être absurde…
M.-A.C. : Tes textes, dans tes projets solos, sont toujours aussi travaillés, mais beaucoup plus personnels, plus intimes. Ce qui frappe avec le nouveau disque des Goules, c’est une espèce de retour à des textes un peu plus corrosifs. On sent plus de colère et de violence. Est-ce que c’est la musique plus agressive qui t’inspire ainsi que des textes plus coups de poing?
K.K. : En ce qui me concerne, les textes viennent toujours après la musique, alors c’est sûr que la musique influence forcément tout ce que j’écris. Et je ne pense pas du tout à ce que je veux dire quand vient le temps d’écrire. J’essaie de mettre le meilleur texte sur la musique sur laquelle j’ai à mettre un texte. Dans mon projet solo, je dis beaucoup de choses que je dis avec Les Goules, mais je peux aller plus loin dans le «je» personnel. Je peux jeter un regard sur le monde, mais je le fais via le prisme personnel. Il y a souvent le combat avec moi-même et/ou avec l’autre et/ou avec la société qui revient. Je peux aller dans l’amour, le désir, la souffrance, l’ennui, les bibittes personnelles. Une pièce comme Napalm n’aurait vraiment pas rapport avec Les Goules. Tout comme une pièce comme Coat de Cuir n’aurait pas rapport dans mon projet solo. C’est assez tranché. Parfois y’a une toune qui chevauche un peu les deux, par exemple Blanc Bœuf, que j’aurais bien prise pour moi si j’avais composé toute la musique.
Les Goules n’ont pas vraiment de style. «Rock», «punk», okay, mais c’est très large comme qualificatifs. Sur un même album, tu peux avoir beaucoup de trucs très différents. Mais tout se tient, tout est cohérent, tout est possible. L’important c’est juste de ne pas tomber dans le personnel, le trop clair, et les maudites patentes d’amour et de désir! Et puis il y a toujours eu aussi la contrainte tacite de ne pas être politique, de ne pas croire, ne pas vouloir convaincre, ne pas vouloir dire précisément. Ce qui ne veut pas dire de réfréner un bon coup de gueule quand il se présente, qu’il est pertinent et que la musique l’appelle, au contraire! Faut se faire plaisir de temps en temps! Mais ne pas en faire une ligne directrice du genre «Les Goules sont dénonciateurs!», «Les Goules vont vous dire ce qu’ils pensent!»
Pour le dernier disque, nous voulions revenir un peu à un état d’esprit près du premier album, c’est-à-dire une énergie assez brute, des pièces expéditives, simples et sans flafla. Nous étions inactifs depuis un bon moment et nous n’avions pas le temps de pratiquer souvent. Il fallait que nous progressions rapidement pour créer un élan et un enthousiasme, avoir des résultats et voir le bout! Je pense que ces circonstances ont fait en sorte de faire sortir le méchant, d’être spontanés et de nous faire pondre un disque nerveux, baveux et pas blasé, mais très ludique et léger aussi à la fois. Des pièces comme Parle Parle, Folk, Coat de Cuir, et même Bouddha et Piranhas, sont somme toute plus déconnantes que chargées de colère et de violence, même s’il y a une charge, un peu de critiques et qu’on se moque de quelques trucs au travers! Bien sûr t’as la toune Coma que je classerais dans la catégorie coup de gueule qui s’est présentée, que la musique appelait, que je trouve pertinente et qui fait du bien!
M.-A.C. : Manifestement, Les Goules sont en colère… Est-ce que c’est important pour vous de critiquer la société, ses tares et ses dérives? Comment vous voyez votre rôle en tant que poètes, artistes et musiciens? C’est le genre de trucs auxquels vous pensez?
**K.K. : **Je tiens d’abord à dire que tout ça, mes longues réponses qui finissent pus, c’est en mon nom personnel. Dire si Les Goules sont en colère et si c’est important pour nous de critiquer la société, je ne peux pas répondre. À mon avis, un artiste doit être révolté, provocateur, anticonformiste. Les artistes chez qui je ne sens pas un minimum d’intention de bousculer les cadres ne m’intéressent pas. À mes yeux, ce qui amène quelqu’un à l’art c’est viscéralement un refus du conformisme et un besoin d’expression de ce refus, qu’il soit légitime, pertinent ou non. Et quand je parle de révolte, pas besoin d’être un artiste activiste et engagé, pas besoin de crier «fuck le système» et «anarchie».
Tous les artistes que j’aime étaient ou sont des révoltés. Brassens était un révolté, Brel, Ferré, Gainsbourg, Renaud, Mano Solo. Félix Leclerc était un révolté, Charlebois, Plume, Vigneault, Desjardins. Jean Leloup. Fred Fortin. Didier Wampas. Jello Biafra. Kurt Cobain, Morrison, Dylan, Elliott Smith. Henry Miller, Bukowsky, Mozart, Rimbaud, Picasso, alouette name droping nous voulons des noms! Y’en a tellement! Tous à leur manière. Ils ne criaient pas nécessairement «fuck off» et «anarchie» debout sur des barricades en feu! Y’a bien Ferré qui criait anarchie, mais il ne détestait certainement pas ses millions! C’est pas important au final, anyway, l’argent qu’ils ont fait ou non. Tu peux faire de l’art et pogner! Tant mieux!
On peut évidemment s’étirer longtemps là-dessus, je tourne les coins ronds, c’est déjà assez long! Parler d’art c’est comme parler de politique. Y’a sûrement des artistes qui sont convaincus d’être des rebelles et des révoltés que moi je trouve putes et convenus! Y’a sûrement des artistes qui se trouvent artistes à seulement chanter de la marmelade, des ballades d’amour réchauffées et des complaintes anecdotiques et soporifiques. Y’a sûrement du monde qui pense que tous ceux qui chantent bien et qui passent à La Voix sont des artistes! Y’a sûrement des gens qui disent que t’as pas besoin d’être révolté pour être artiste, et ils ont peut-être raison, c’est pas grave. Ou qui ont une conception totalement différente de ce qu’est la révolte. Et l’art! Quelqu’un peut peut-être se sentir vraiment révolté et artiste à dire : «Je t’aime, soyons libres et fous!» ou «Moi je suis comme ça, n’essaie pas de me changer, je suis moi moi moi!»…Mais je suis pas mal romantique et j’aime bien sentir chez un artiste une farouche fibre d’indépendance, de liberté, de colère, de passion, d’amour, de combat, voire de vocation. J’aime sentir un certain ras-le-bol, une irrévérence, une affirmation, une signature, un cri…C’est trop rare et ça fait du bien quand ça arrive.
À titre d’exemple, mon dernier coup de cœur est une toune des Hôtesses d’Hilaire, la pièce C’est Glen qui l’a dit. Une longue narration qui commence avec une histoire de micro-ondes bien décalée et qui se termine avec un pétage de coche en règle contre l’apathie générale, Facebook, les politiciens, l’individualisme, la servitude, l’expression de sa pensée quand c’est sous le couvert de l’anonymat, mais jamais en pleine face, l’absence de colère et d’action, bref bien des choses! La pièce dure à peu près dix minutes, on ne l’entendra pas à CKOI ou à Ici Musique en rotation forte. Mais pour moi, cette pièce est d’une plus grande pertinence artistique que 90 % de ce que je peux entendre à la radio tous les jours! Serge Brideau est bien plus un artiste que Yoan qui vend 200 000 disques…
Quant à savoir comment je vois le «rôle» de l’artiste, poète, musicien, je dirais simplement que c’est de faire plaisir, de faire réfléchir un peu si ça adonne, d’être un compagnon de solitude et un agent de rassemblement. Tant mieux s’il y a des gens qui veulent changer le monde. Il en faut. Et j’admire un gars comme Desjardins qui va brasser de la marde et parvenir à faire bouger des affaires. Mais je suis à des galaxies de ça. Je ne ferai jamais de politique. Je n’ai pas les aptitudes et je n’y crois pas… J’aime écrire des tounes, c’est tout!..