C’est un mardi comme les autres. Enfin presque. Aujourd’hui, il fait beau. Gilles Bazelaire est dans sa voiture, il vient de déposer ses fils à l’école quand tout à coup, la nouvelle d’une explosion à l’aéroport national de Zaventem résonne dans l’habitacle. Gaëtan Libertiaux est déjà au bureau quand le stagiaire débarque : «Vous avez vu ce qui s’est passé?» Marie François est avec sa classe de 1re année primaire quand elle apprend qu’une seconde explosion a eu lieu dans la station de métro bruxelloise Maelbeek; elle contient son émotion, poursuit la leçon. Il est 14 h 35 quand la titulaire de Sam annonce à ses élèves qu’ils devraient appeler leurs parents pendant la récréation.
Action, réactions
La journée défile, les médias et réseaux sociaux relaient des informations dont le flux grossit en même temps que l’émotion collective. L’anesthésie générale peu à peu tisse sa toile.
«En rentrant à la maison, j’ai demandé à mes fils s’ils savaient ce qui s’était passé. Ils m’ont répondu qu’une bombe avait explosé.» Le père des deux garçons se rappelle qu’à l’âge de dix ans, il a été marqué par l’affaire des tueurs du Brabant. Il se souvient qu’il ne parlait à personne de son angoisse. Aujourd’hui, il s’étonne de la réaction de ses fils qui égrainent : «31 morts, 300 blessés…». «Mais on s’en fout des chiffres!», hurle-t-il en lui-même. Plus tard, Elvis, 7 ans, au téléphone avec sa mère, partie à Genève quelques jours plus tôt, a tout de même lâché : «Encore un peu et c’était toi maman.»
Dans quelques jours, Leila, 9 ans, part à Alger. Mais à l’heure du gouter, elle se tortille sur sa chaise : «C’est dangereux de prendre l’avion?» Sa grand-mère, qui a fui les explosions de son Algérie natale vingt ans plus tôt, lui répond : «Mais non. Les voyous qui ont mis des pétards dans le métro ne font pas exploser des avions.»
Au fil des jours suivant, les premières réactions à chaud font place aux questions. Léon, 10 ans, lance à son copain Jean : «Pourquoi n’a-t-on pas arrêté les mecs avant qu’ils ne se fassent sauter à l’aéroport?» De son côté Vadim, 6 ans et demi, se demande si on les a bien tous attrapés depuis. Un troisième petit garçon : «Est-ce qu’ils pourraient entrer dans l’école pour nous tuer? Pourra-t-on se cacher dans les armoires?»
Parler vrai
En commençant par interroger les enfants sur les événements, on leur permet de réfléchir, embraie Catherine Martens, psychanalyse. Mais comment s’adresser à eux sans les heurter? «En leur proposant une vérité accessible, qui les humanise.» Parent, proche, voisin, grand-mère ou grand frère, peuvent parler à l’enfant sans taire leurs émotions : «Un adulte inquiet qui parlerait des attentats sur un ton guilleret a tout faux. L’enfant perçoit le décalage.» Pour autant, il est tout aussi important de le rassurer, le consoler.
Réseaux sociaux et fascination
Et puis, il y a les grandes personnes en devenir, plus tout à fait enfants, pas complètement adultes. Exposés aux réseaux sociaux, les ados les consomment sans être forcément armés pour les digérer. «J’ai vu que mon fils avait publié sur Facebook un commentaire sur les attentats. J’ai senti qu’il avait grandi et j’ai mesuré à quel point il était désormais exposé à l’horreur.», confie Gaëtan Libertiaux. L’horreur, qui se mue en fascination pour la mort, le suicide ou le démembrement des corps; elle déborde des mots et des images et n’aide pas à grandir. «Parfois, on a du mal à mettre sa pensée en marche au lieu de rester collé à l’écran», explique Catherine Martens.
S’il cherche à comprendre les raisons qui ont poussé des hommes à commettre des attentats, Sam, 12 ans, a également trouvé une façon d’y réagir : «Je ne vais pas me rabaisser à la peur, je vais continuer à vivre.» Quelques jours plus tard, Julien Cironello, rescapé des attentats, confirme cette intuition devant les caméras. Son message : n’attendons pas que d’autres bombes explosent, «il faut se reparler.»