Il faut le reconnaître : ces victimes de la tolérance ont un sacré sens de l’humour. Sauf à parler d’extrémistes tolérants, en effet, il est difficile de faire plus ridicule que leur idée impossible d’une tolérance à la fois extrémiste et liberticide, une tolérance qui fermerait les yeux sur les tares religieuses des musulmans tout en refusant aux occidentaux la critique de l’islam.

Sous la plume de ces victimaires, les mots ne semblent ainsi plus valoir que par les impressions qu’ils laissent sur les esprits. Il ne leur est plus nécessaire de dire quelque chose sur l’état du monde; il leur suffit d’exprimer l’état d’esprit de ceux qui les prononcent ou les écrivent. Qu’ils soient vrais ou vraisemblables importe peu; seule compte leur efficacité à jouer leur rôle qui n’est plus comme jadis d’informer et de faire réfléchir, mais bien plutôt d’ameuter un lectorat que l’on souhaite de plus en plus irréfléchi.

En effet, le problème de ces malades imaginaires n’est pas l’intolérance des antiracistes qui feraient dans la rectitude politique. Il réside plutôt dans leur propre incapacité à honorer les exigences de cette précieuse opération intellectuelle que l’on nomme la critique.

Ces victimaires ne se contentent donc pas de confondre critique et insulte, examen pondéré et déversement de préjugés. À chaque fois qu’ils se voient eux-mêmes critiqués, ils contre-attaquent en rédigeant des réquisitoires enragés et des procès d’intention à l’encontre de leurs contradicteurs qu’ils accusent d’être des idiots utiles au service de l’islamisme. Pourtant, ces derniers n’ont jamais demandé de protéger l’islam ou les musulmans d’une critique légitime. Ils s’élèvent surtout contre le dévoiement de cette même notion, la critique, que nos actuels Aragan disent pourtant chérir. En effet, le problème de ces malades imaginaires n’est pas l’intolérance des antiracistes qui feraient dans la rectitude politique. Il réside plutôt dans leur propre incapacité à honorer les exigences de cette précieuse opération intellectuelle que l’on nomme la critique.

Celle-ci est en effet précieuse, car on ne critique pas ce ou ceux que l’on méprise. Le mépris, quand il ne pousse justement pas à l’insulte, mène tout au plus à l’indifférence. La critique, au contraire, est un don que l’on offre le plus souvent à ceux qui comptent pour nous. Même quand elle est dirigée contre ce que l’on juge nuisible, son but demeure toujours le changement positif. C’est pourquoi, elle est toujours un acte d’amour, et c’est pourquoi aussi, les haineux ne critiquent jamais vraiment : ils déshumanisent, ils bestialisent et ils diabolisent. Dans l’univers musulman, on appelle ces marchands de la haine des takfiristes, qui se disent également «victimes des modérés»; ici au Québec, ce sont des laïcistes qui se prétendent maintenant «victimes des tolérants». Deux formes d’une seule et même haine victimaire : la haine du dialogue, du compromis et de la modération.

D’un autre côté, la critique ne peut être précieuse que si elle est exigeante envers elle-même d’abord. Il n’est point de critique sans autocritique, en effet. Car la critique ne peut être honnête ni intelligente si elle n’est pas au clair avec ses propres biais vis-à-vis de la chose critiquée. Avant de critiquer l’islam, par exemple, ou tout autre système idéel, il faut donc se donner la peine de le connaître minimalement. Et on est ici en droit de s’interroger : les victimaires de la tolérance connaissent-ils vraiment l’islam ou souhaitent-ils critiquer l’idée qu’ils s’en font au travers d’une actualité notoirement essentialiste et sensationnaliste?

les victimaires de la tolérance connaissent-ils vraiment l’islam ou souhaitent-ils critiquer l’idée qu’ils s’en font au travers d’une actualité notoirement essentialiste et sensationnaliste?

Avant de critiquer l’islam ou tout autre religion, il faut ensuite connaître le système normatif à partir duquel cette critique est elle-même construite. En effet, la critique n’est jamais que l’évaluation d’une idée ou d’un acte selon les critères d’une autre norme que l’on tient pour meilleure. Aussi, sauf à prendre son propre système normatif pour parfait, le critique se doit d’être nuancé et éviter le jugement absolutiste. En fait, comme disait Edmond Scherer, seul le vulgaire se plaît à l’absolu puisque c’est là la forme naturelle de la pensée inculte. Et dans le cas de nos victimes de la tolérance, il faut aussi le leur reconnaître : en exprimant leur absolu sous la forme d’insultes, de préjugés et d’accusations gratuites, leur vulgarité est malheureusement et affreusement dédoublée. Aussi, elles ne sont pas les victimes de la tolérance, comme elles le prétendent, mais bien celles de leur propre inculture.