Si le dénouement cacophonique de la Commission Charbonneau avait laissé un goût amer, c’est justement parce qu’elle avait échoué à mettre le doigt sur cette évidence. Les arrestations de jeudi dernier atténuent cette déception en suscitant l’espoir que des fautifs seront sanctionnés. Elles contribuent à compléter le portrait de l’élite du pouvoir, en grande majorité libérale, qui gouverne le Québec depuis des décennies.
S’il est compréhensible que ce soit l’arrestation de l’ancienne vice-première ministre qui ait monopolisé l’attention médiatique, il ne faut pas oublier que deux employés politiques liés au Parti Québécois ont également été interpelés et accusés. Cela confirme que le rapport Moisan ne s’était pas trompé lorsqu’il avait établi que le PQ était lui aussi impliqué dans des réseaux de financement occulte.
De la Commission Gomery à la Commission Charbonneau, du rapport Moisan au rapport Duchesneau, les citoyens du Québec comprennent de plus en plus que les mots essentiels de la politique québécoise ne sont pas «idées», «débats» et «projets», mais «copinage», «renvoi d’ascenseur» et «caisse électorale». On se dit que ce qui empêche le Québec d’avancer, ce blocage permanent de nos capacités collectives d’agir, c’est cette culture politique cynique et cupide, cette lamentable dégradation de l’esprit démocratique dont le PLQ est le champion toutes catégories.
Depuis trop longtemps, la classe politique a évolué en symbiose avec une clique restreinte : le monde des affaires. C’est cette relation fusionnelle qui a rendu possible les excès et les débordements que nous connaissons aujourd’hui. Les principaux partis politiques, pour des raisons bien différentes, sont aujourd’hui devenus dépendants de cette relation, parce qu’elle leur a permis, à un moment ou à un autre, de gagner les élections en bafouant les règles du jeu.
Ce qu’il faut retenir de cette triste histoire, c’est que la classe politique québécoise fonctionne à la manière des aristocraties d’antan : par filiation. Les premiers ministres d’aujourd’hui étaient dans les conseils des ministres d’hier, les lobbyistes de demain sont les ministres actuels, et vice versa. La plupart des formations politiques sont elles-mêmes, de près ou de loin, nées de scissions du Parti libéral. Un tel degré d’endogamie a fini par accumuler les tares. Le temps est venu de couper cette branche. Elle est pourrie.
Couper une branche morte pourrait être une affaire de rien pour un peuple habitué à vivre dans le bois. Mais le peuple québécois a aussi été dressé à ne pas décider par lui-même. Ce sont des banquiers, des économistes (toujours les mêmes) et des affairistes qui lui disent où couper. Ceux-là mêmes qui ont tout à gagner à transformer les organisations politiques en pompes à fric et à mettre l’élite du pouvoir éternellement en dette envers eux. Ce sont ces gens qui font passer pour du gros bon sens tout ce qui leur rapporte, et pour de la folie toutes les politiques qui leur nuiraient.
Il existe bien sûr des individus honnêtes en politique, mais cela ne vaut pas grand-chose quand c’est la mécanique politique elle-même qui est enrayée. Le Québec est mûr pour un grand ménage. S’il ne se fait pas de manière démocratique, le ressentiment actuel risque de nourrir la montée d’un autoritarisme dont on constate, chez voisins du Sud, toute la violence et la bêtise. Ce grand ménage ne se fera pas sans que soit brisé le lien qui nous raccroche encore à la classe politique qui occupe le devant de la scène depuis des décennies. Pour mettre fin à la corruption, il faut cesser de mettre au pouvoir ceux qui en profitent.