Plus de sept ans après la mort de Fredy Villanueva, assassiné le 9 août 2008 par l’agent Jean-Loup Lapointe dans un parc de Montréal-Nord, cette œuvre de 95 minutes nous replonge dans l’affaire en adoptant une posture politically correct. D’entrée de jeu, la spectatrice se bute à une mise en scène simulant un tribunal, avec ce que cela implique comme binarité. La table est dressée pour une joute adversariale où la figure du juge, placé en omnipotence de la scène, incarne la position se voulant mitoyenne et objective. Sous ses yeux défilent des extraits de l’audience qui décrivent les évènements, entrecoupés de lectures des correspondances que la dramaturge a entretenues avec différents intervenants de l’affaire durant son processus d’écriture.
Alors que les éléments narratifs sélectionnés interpellent les émotions, le texte se garde bien de s’engager dans une voie politique. Certes, il présente des éléments qui ont le mérite de soulever des enjeux sociaux. Mais l’on se limite à l’indignation facile, à une dénonciation de l’indéfendable, tel que le profilage racial évident dans l’affaire ou encore les manigances et la mauvaise foi dont ont fait preuve les corps policiers au cours de l’enquête. En ce sens, la lecture de judicieux propos émis par Will Prosper (fondateur du mouvement citoyen Montréal-Nord Républik) et par Me Alain Arsenault (avocat d’une autre des victimes de l’agent Lapointe), constitue un contre-balancier intéressant face à la gêne d’engagement de l’auteure.
Car le positionnement est à peine perceptible, pas tout à fait assumé. Dès lors, on évite d’émettre des critiques dérangeantes, qui fouilleraient à la racine des dynamiques sociales ayant provoqué cette mort. Exit la remise en question de la place occupée par la police dans notre société, exit le caractère intrinsèquement classiste des approches répressives du droit, exit la nature profondément raciste du stigmate associé à certains groupes sociaux, exit la marginalisation systémique vécue par les habitant.es de certains quartiers. Le tout, on le sent bien, découlant d’une réserve à prendre parti. Une timidité dramaturgique qui obstrue l’avènement de pistes de réflexion plus riches, mais qui s’inscrit dans les schémas sociaux généralement valorisés, comme en témoigne la pauvre critique de la pièce rédigée par Odile Tremblay (Le Devoir).
Ce souci de réserve est évident lorsque, par exemple, les comédiens font la lecture de l’extrait d’une invitation lancée à Stephanie Pilotte, agente présente lors des faits fatidiques. Dans celle-ci, Mme Soutar enjoint la policière à la rencontrer dans le cadre de sa démarche d’écriture; cela au nom du but commun qui serait de redorer le blason policier. La pièce nous sert d’ailleurs une agente Pilotte dont les déclarations laisseraient entrevoir un aveu de mauvaise utilisation de la force. On la représente comme victime collatérale de l’esprit de corps policier. Idem lors de la lecture du témoignage d’une policière anonyme qui nous invite à réfléchir sur les conséquences du drame pour les flics concernés. Sur le fait de voir leurs noms liés à l’affaire, cités dans les médias. Encore ici, par ce procédé, on fait du bourreau une victime, laissant au spectateur un goût amer au travers de la gorge, mais lui permettant de mieux comprendre le refus de collaboration de la famille pour cette pièce, agacée notamment par la sollicitation de membres du SPVM aux fins de sa rédaction.
Il demeure en effet difficile de comprendre la nécessité de recourir à la perspective policière, alors que leur défense fut déjà publiquement assurée. Politiciens, médias et système administrativo-judiciaire se sont succédé suite à l’affaire pour dénoncer les réactions populaires suivant le meurtre, pour insister sur les circonstances «nébuleuses», pour plaider le danger auquel feraient face les forces de l’ordre dans ce quartier, face à des délinquants organisés, etc. L’impunité policière fut déjà bien alimentée par le discours officiel.
Or, dépolitiser l’affaire signifie non seulement rater une occasion en or de soulever des positions autrement écrasées par le statu quo, mais également consolider des postulats inébranlables d’une société québécoise qui tend par moments l’oreille à la peur d’Autrui. Le drame fut politique. Son origine ne se trouve pas dans une maladresse ponctuelle, mais bien dans les difficultés d’emploi des nouveaux arrivés, dans la précarité des logements et services offerts dans les quartiers défavorisés, dans les discours oppressifs omniprésents au sein des corps policiers, etc. Cette violence n’est pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence d’une dynamique politique bien rodée qu’on manque ici de décrier haut et fort.
Ainsi, comme l’exprime une lettre du Collectif de solidarité avec la famille Villanueva adressée à la dramaturge, nous nous retrouvons face à un «semblant de dialogue» qui profite principalement à cette dernière. La mort d’un adolescent non armé dans un parc montréalais ne devrait pas être le point de départ d’une stérile réflexion; les faits sont grossiers, les problématiques connues depuis belle lurette. À l’instar des émeutes qui ont suivi ce meurtre, l’indignation face à l’injustice flagrante n’a pas à se draper de draps de raisonnabilité. En ce sens, en dépolitisant l’affaire Villanueva et en tenant mordicus à représenter une dichotomie dans l’histoire, la pièce assume paradoxalement le rôle d’éteignoir social. Et manque du même coup une belle occasion de se montrer respectueuse de la volonté de la famille du défunt.
La pièce est présentée au théâtre La Licorne jusqu’au 26 mars.