Entre les années 1960 et 1996, le pays a vécu un conflit armé interne et les femmes autochtones ont été des victimes directes de la violence et des abus perpétrés par l’armée guatémaltèque. Les années les plus sanglantes du conflit coïncident avec le coup d’État et la dictature militaire de l’homme politique Efraín Ríos Montt (jugé pour génocide) de 1982-1983. Le procès aujourd’hui célèbre de Sepur Zarco (nom de la base militaire où ont été commis les crimes), c’est l’histoire de 15 femmes survivantes de l’esclavage sexuel et domestique qui, en 2012, ont rompu le silence devant la justice. Dans la salle du Tribunal de Haut Risque A, dans la capitale Guatemala, la juge Yasmin Barrios a dévoilé la sentence condamnatoire suite à 20 jours de débat oral public.
La question de la propriété terrienne fut un élément important dans l’explication des événements de 1982-83 (période investiguée lors du procès) dans la région de la base militaire de Sepur Zarco. Les défunts maris des victimes étaient en voie de s’organiser collectivement afin d’obtenir la pleine gestion de leurs terres auprès de l’Institut National de Transformation Agraire lorsqu’a débarqué l’armée dans leurs communautés. Les recherches et les témoignages ont dévoilé la relation entre les intérêts des grands propriétaires terriens et ceux de l’armée guatémaltèque. En effet, les propriétaires terriens ont donné d’importantes parcelles de terre pour la construction de bases militaires dans la région afin de favoriser le contrôle de ses habitants. Les populations autochtones représentent encore aujourd’hui une main-d’œuvre bon marché pour les compagnies de productions agricoles, notamment celles de la palme africaine et du café. La repossession des terres ancestrales par les communautés maya-q’eqchi’ représentaient à l’époque une menace importante au pouvoir de l’élite économique. En accusant les hommes de la région de faire partie de la guérilla, les propriétaires terriens ont détruit toute possibilité d’autodétermination du territoire q’eqchi’. L’anéantissement des familles, des biens de subsistance et, subséquemment, de l’organisation communautaire par l’armée, a forcé les communautés autochtones à continuer d’œuvrer en semi esclaves sur les terres appartenant aux responsables indirects des massacres et cela, jusqu’à aujourd’hui.
Une dignité retrouvée
Au courant du mois de février, le Tribunal a écouté les déclarations d’un grand nombre de témoins et de spécialistes. Les survivantes avaient déjà témoigné en 2012, sous forme de preuves anticipées, en raison de leur âge avancé. La difficulté de dévoiler ces épisodes traumatisants a fait partie du processus douloureux des 11 femmes autochtones avec la justice transitionnelle. Dans leurs récits, traduits par une interprète q’eqchi’, les abus se répètent d’une femme à l’autre.
L’assassinat de leurs maris et de leurs proches, la destruction de leurs maisons et de leurs biens, les viols systématiques par plusieurs membres de l’armée, le travail forcé pour leurs bourreaux, la peur constante… Certaines d’entre elles ont dû fuir l’armée en se réfugiant dans les montagnes pendant plusieurs années. Malheureusement, leurs souffrances n’ont pas cessé avec la signature des Accords de paix en 1996. À la suite du conflit, elles ont été marginalisées à l’intérieur de leur propre communauté, les obligeant à vivre avec la culpabilité des abus et la précarité de leurs situations économiques et sociales.
Tel qu’expliqué par la spécialiste en anthropologie sociale lors du procès, Rita Laura Segato, la rupture du mariage par l’assassinat de leurs maris et par les violations ont représenté la mort physique et sociale des communautés mayas. En effet, les attaques systématiques sur les corps des femmes de la part de l’armée ont fait partie d’une stratégie militaire vouée à la destruction du tissu social et au futur des populations autochtones. Effectivement, il est important de se rappeler qu’en temps de guerre ou de conflit armé, les abus sexuels ne sont pas de simples conséquences collatérales, mais bien des objectifs clairs d’assujettissement et de domination. Le contrôle du corps féminin et du territoire sont utilisés de manière conjointe.
La salle, dont la capacité maximale entoure les 300 personnes, était comble en ce dernier jour de procès le 26 février 2016. De nombreuses personnalités publiques faisaient partie de l’audience, dont notamment deux lauréates du prix Nobel de la Paix, la Guatémaltèque Rigoberta Menchú et l’Américaine Jody Williams. Victoria Tauli-Corpuz, rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones pour les Nations Unies, était aussi présente lors de la dernière journée du débat, en plus d’un grand nombre de représentants du cadre diplomatique. La société civile, de différentes générations, s’est aussi déplacée au Palais de justice tout au long du procès, ce qui représentait l’un des objectifs clés de l’Alianza Rompiendo el silencio y la Impunidad (organisme représentant les plaintives). >>
En effet, le cas Sepur Zarco n’est pas seulement un jugement concernant les abus subis par les femmes durant le conflit armé mais aussi un avancement important pour la condition actuelle des femmes guatémaltèques. Malgré le racisme, le sexisme et le patriarcat qui perdurent dans les sociétés d’Amérique centrale, les femmes de Sepur Zarco ont réussi à surpasser ces inégalités structurelles dans le chemin de la justice transitionnelle. Un cri d’espoir et de soulagement a raisonné dans la salle du Tribunal de Haut Risque A suite à la prononciation du jugement par la juge Barrios. Les applaudissements et les réjouissances du public étaient en symbiose avec les femmes q’eqchi’ qui ont levé leurs mains en l’air, toujours couvertes par leurs tissus traditionnels afin de protéger leur identités. Les accusés sont sortis de la salle du tribunal rapidement sous les cris de l’audience. Barrios a dû intervenir afin de garder l’ordre. À l’extérieur du Palais de justice, d’autres supporteurs avaient préparé une cérémonie maya dans le but de célébrer la victoire. Les femmes sont apparues à la fenêtre, cette fois à visage découvert, afin de recevoir de nouveau une ovation.
Heriberto Valdez Asij, ex-auxiliaire militaire, fut condamné à 240 ans d’emprisonnement pour crimes contre l’humanité sous forme d’esclavage sexuel et domestique (peine de 30 ans) et disparition forcée de quatre paysans (peine de 210 ans). Esteelmer Francisco Reyes Gíron, ex-Lieutenant Colonel, a pour sa part été condamné à 120 ans d’emprisonnement pour crimes contre l’humanité aussi sous forme d’esclavage sexuel et domestique (peine de 30 ans) et pour l’assassinat de Dominga Coc et ses deux filles (peine de 90 ans).
Réparations collectives
Au début du mois de mars, la juge Barrios a annoncé aux victimes les réparations auxquelles elles auront droit suite à la déclaration de la culpabilité des accusés. Outre l’aspect monétaire d’environ 750 000 quetzales par survivante (15 000 dollars canadiens), l’aspect collectif des souffrances a été respecté dans l’appui aux communautés touchées dans la base militaire de Sepur Zarco entre les années 1982-1983. L’état guatémaltèque a maintenant la responsabilité légale d’investir en éducation, en santé et dans divers projets de développement. Un autre aspect important est la continuation des recherches des défunts maris des femmes qui sont toujours portés disparus. Ultimement, afin d’empêcher la répétition de tels abus, l’histoire des combattantes de Sepur Zarco devra être intégrée dans les manuels scolaires et un mémorial en leur mémoire sera édifié dans la région. Le 26 février est maintenant la journée nationale pour la reconnaissance des victimes de violence sexuelle et domestique.
Paule Portugais, diplômée en développement international de l’Université McGill, présentement accompagnatrice internationale auprès des défenseurs de droits humains pour le Projet d’accompagnement Québec-Guatemala.