Pour prouver leur bonne foi, plusieurs ont besoin de faire-valoir de mauvaise foi. Ils et elles établissent un cadre, des limites, prennent position par définition, mais aussi par dissociation. Ça m’apparait honnête.
En usant de dissociation, il faut par contre être consicient.e.s de quoi on se désolidarise.
Dans mes yeux et mes oreilles cette semaine, même lorsque le messager ou la messagère visait plutôt juste, j’ai cru comprendre que la femme qui ne s’épile pas incarne le rempart de dissociation consacré pour montrer que notre féminisme est raisonnable et de bonne foi. L’image est facile, rapide, pas besoin d’être bien éloquent.e : « Je suis un.e bon.ne [pro]-féministe, les extrémistes sont faciles à reconnaître, c’est comme pour les terroristes, c’est une question de pilosité ».
Je n’ai plus touché à un rasoir depuis l’été 2014. C’était circonstanciel, juste par nomadisme. Je n’aime pas choquer ou me faire remarquer. Ce n’était pas un statement non plus, ça l’est devenu. Juste un sentiment de liberté qui s’est installé avec les mois de pilosité qui s’accumulaient. Il faut dire que j’avais un homme pour me soutenir dans ma démarche (!), je serais malhonnête si je n’avouais pas que son appui a joué pour beaucoup.
J’avais la conviction que c’était rendu banal, le poil au féminin. La faute à mon wall bombardé d’esthétique hipchic subversive, je pense bien. J’étais naïve en sacrement. Tomber de ma candeur cette semaine, ça m’a fait un peu mal, un peu. Je reste une femme blanche, hétéro, privilégiée, jeune… j’ai pas tant de cailloux dans mes souliers.
J’aimerais donner dans le brouillage culturel bien léché et vous dire que j’aime le poil, le maquillage, les paillettes, pis les robes fleuries, mais ce n’est pas ça non plus. J’aime les jolies choses, mais je ne sais pas vraiment quoi en faire. Je suis coquette des fois et je trouve mes ami.e.s splendides lorsqu’elles et ils le sont. Je ne suis juste ni patiente ni habile. Quiconque m’aura vu mettre du vernis à ongles corroborera. Je ne suis pas boyish non plus. J’suis juste pas stylée et j’ai l’impression que c’est la posture la plus répréhensible pour une femme.
Arrêtez de m’accoler l’épithète d’extrémiste. Parce que je ne donne ni dans l’irrationnel ni dans le dogme. Dans l’idéologie, oui, mais vous aussi, vous savez. Surtout, caractéristique importante de l’extrémisme, je ne blesse personne. Je n’use pas de violence contre vous, au contraire, c’est moi qui la subis par vos propos méprisants.
Ce n’est pas un sermon adressé à mes amies qui se débarrassent de leurs poils. Je ne prêche rien, arrêter de s’épiler, c’est pas comme arrêter de fumer. Je suis tout à fait susceptible de m’y remettre au premier rayon de soleil. Je me sentirais parfois plus à l’aise. Soyons toutefois transparentes sur nos motivations à user du rasoir : elles sont patriarcales, point.
On peut dire «ça ne me dérange pas de le faire», mais je n’ai jamais entendu une femme se réjouir de dépenser, de prendre du temps, voire de souffrir pour s’épiler. Revendiquer le droit de faire ce que je veux de mon corps, ça ne concerne pas seulement ma sexualité, ma reproduction ou le port du pantalon. Je ne vois rationnellement par pourquoi la pilosité, aussi naturelle chez la femme que chez l’homme, devrait être exclue des luttes légitimes. En faire un cas à part, comme si s’épiler relevait du civisme élémentaire, ça a toutes les apparences d’un dogme… et d’une position extrémiste.