Ce qui a particulièrement retenu mon attention, dans cette déferlante médiatique, ce n’est pas tant l’inculture politique des parvenus qui nous dirigent, mais bien plutôt cette méfiance envers tout ce qui est identifié comme «extrême» et donc forcément plus «idéologique». Toutefois, la modération a-t-elle vraiment meilleur gout?

Lorsqu’elle a tenté de rectifier le tir, quelque jours plus tard, la ministre Thériault a déclaré :

Malheureusement, le féminisme est parfois présenté comme un combat mené par les femmes contre les hommes. En ma qualité de vice-première ministre et de ministre responsable de la Condition féminine, je n’adhère pas à cette façon de voir les choses. C’est en référence à cette conception polarisante du féminisme que j’ai répondu à la question qui m’a été posée. [M]on féminisme est égalitaire et rassembleur; il ne mise pas sur la confrontation, mais plutôt sur l’inclusion.

Face à cette déclaration un peu boiteuse, le chroniqueur-vedette Patrick Lagacé a risqué l’interprétation suivante: « je crois qu’elle réfute en fait les multiples caricatures qu’on fait du féminisme, celles qui le transforment en cabale de “féminisss extrémiss” réfractaires à se raser les aisselles. »

Il semblerait donc, dans un premier temps, que de refuser certaines normes de beauté douloureuses et/ou chronophages soit «extrême». Dimanche encore, on en rajoutait une couche à Tout le monde en parle, en affirmant : «C’est pour ça aussi que le féminisme a été tellement disqualifié et qu’on en a fait quelque chose de tellement caricatural. C’est-à-dire des espèces de singeresses poilues, des femmes qui se rasent pas, des féministes à moustache. Je veux dire, on en a vu de toute cette disqualification, de ce ridicule […].»

En ce sens, la modération n’aura pas meilleur goût si nous souhaitons obtenir des gains significatifs.

Le refus de plaire à tout prix parait encore aujourd’hui incongru. Et l’idée qu’il y ait la moindre confrontation que ce soit entre les hommes et les femmes semble relever d’un anti-humanisme condamnable. Pourtant, il faut admettre que si nous en venons à «prendre notre place», comme le souhaite la ministre Thériault, ce sera nécessairement en retirant certains privilèges aux hommes. Or, ceux qui ont toujours gagné plus, toujours occupé les postes de pouvoir et toujours bénéficié du travail gratuit des femmes dans la sphère privée n’ont aucun intérêt à abandonner d’eux-mêmes ces privilèges. Ceux qui le feront malgré tout pourront être des alliés du féminisme ; aux autres, il faudra les leur enlever de force pour en arriver à une réelle égalité de fait. En ce sens, la modération n’aura pas meilleur goût si nous souhaitons obtenir des gains significatifs. Là où la situation se complique, comme le faisait remarquer Francine Pelletier sur les ondes des Radio-Canada, c’est lorsque, hétérosexuelles, le plus grand rêve des femmes est de plaire à ceux-là même qu’elles confrontent.

La luttes des classes socio-économiques, elle, est plus limpide : les salariés se font tirer du lit par leurs patrons, chialer après pendant huit heures par leurs patrons, mal payer par leurs patrons. Puis, quand ils rentrent à la maison le soir, épuisés, c’est avec les leurs qu’ils rient, qu’ils boivent, qu’ils font l’amour et qu’ils tentent d’oublier. Lorsque, finalement, ils décident d’entrer en lutte contre ceux qui les exploitent – puisque les augmentations salariales se font forcément aux dépens du capital – c’est avec la haine dans leurs tripes.

La lutte des classes de sexes, en comparaison, est parfois schizophrène : elle demande d’entrer en confrontation avec ceux qui partagent nos vies. Au contraire de ce que semble affirmer la campagne des Nations Unies un peu bon enfant, He For She, elle ne requiert cependant pas d’haïr les hommes, mais bien d’haïr leur posture privilégiée. Si cette vision du féminisme peut apparaître comme «extrême», elle reste cependant nécessaire. Et elle n’est certainement pas plus ou moins idéologique que la position de la ministre Thériault.

Si cette vision du féminisme peut apparaître comme «extrême», elle reste cependant nécessaire. Et elle n’est certainement pas plus ou moins idéologique que la position de la ministre Thériault.

Comme le disait le sociologue Max Weber, «[l]e “juste milieu” n’est pas le moins du monde une vérité plus scientifique que les idéaux les plus extrêmes des partis de droite ou de gauche.» L’absence d’idéologie elle-même est idéologique. Ainsi, lorsque l’animatrice-vedette Marie-France Bazzo affirme «Je n’adhère à aucun mouvement, aucun parti. Je suis allergique aux regroupements, et me méfie des idéologies, même les plus séduisantes,» elle adopte l’attitude «méta-idéologique» qu’un autre sociologue, Michel Freitag, rattache à la postmodernité, soit la fin de la régulation de nos sociétés par le politique.

Francine Pelletier faisait également remarquer que de pointer la réussite d’une seule femme, comme le fait la ministre Thériault, pour en faire un emblème de la capacité de toutes les femmes à prendre leur place est une façon de dépolitiser l’égalité des sexes. À l’opposé de cette attitude, le féminisme, lui, est éminemment politique.

Que beaucoup aient cru, jusqu’aux clarifications qui se sont avérées nécessaires la semaine dernière, qu’il visait la suprématie des femmes parle beaucoup de la peur qu’on a de voir un mouvement pour et par les femmes.

Que beaucoup aient cru, jusqu’aux clarifications qui se sont avérées nécessaires la semaine dernière, qu’il visait la suprématie des femmes parle beaucoup de la peur qu’on a de voir un mouvement pour et par les femmes. L’ambigüité résiderait apparemment dans la non utilisation du terme «égalitarisme». À l’animateur Patrick Masbourian, qui demandait s’il ne fallait pas changer «le titre de la chanson», on aurait envie de répondre : pour une fois dans l’histoire des nos sociétés patriarcales, ce sera au sujet des femmes.

Bonne journée des femmes!