Le Fonds québécois d’habitation communautaire
Depuis au moins la fin des années 1970, les coopératives d’habitation du Québec rêvent de constituer un fonds autonome pour le logement communautaire. Reflétant une volonté de prise en charge, l’idée est de mettre de l’argent de côté, par exemple en prélevant un certain montant additionnel aux locataires, pour financer de nouvelles unités de logement. Une telle idée n’a rien d’original. Aux Pays-Bas, là où le logement communautaire représente la plus grande part du parc total de logement au monde (plus de 30 %), le logement communautaire est aujourd’hui à peu près exclusivement financé par de tels fonds.
Après plusieurs tentatives, le Fonds québécois d’habitation communautaire a finalement vu le jour le 10 septembre 1997, dans la foulée du Sommet sur l’économie et l’emploi de l’automne 1996. Avec un conseil d’administration composé en majorité d’acteurs des milieux communautaires et de l’économie sociale, le FQHC avait à l’origine deux missions : conseiller le gouvernement dans la mise en œuvre des programmes d’aide au développement du logement communautaire et soutenir financièrement la réalisation de nouveaux projets de coopératives et d’OBNL d’habitation.
Jusqu’à l’arrivée au pouvoir des Libéraux de Couillard, le FQHC semblait s’être plutôt bien acquitté de sa première mission. Une éclairante étude récente du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) clarifie toutefois que le FQHC n’a jamais été en mesure de réaliser sa mission financière. Pour le dire simplement : le FQHC n’a toujours pas investi ne serait-ce qu’un seul sou dans le logement communautaire. Comment expliquer un tel échec?
Une tragédie en deux actes
Jusqu’en 2015, le gouvernement n’avait pas fait preuve de mauvaise foi évidente dans le dossier. L’inaboutissement du Fonds résultait plutôt d’intenses tensions internes au conseil d’administration du FQHC. Dès les débuts, certains acteurs craignaient qu’un fonds financé de façon autonome par le logement communautaire constitue «une taxe sur les pauvres» et qu’il serve de prétexte au gouvernement pour couper le financement public au logement social (comme cela s’est fait aux Pays-Bas). Une fois «l’idée» du fonds acceptée, restait ensuite à s’entendre sur la division des tâches, notamment entre les réseaux contribuant financièrement au fonds (la Confédération des coopératives d’habitation du Québec, le Réseau québécois des OSBL d’habitation et le Regroupement des offices d’habitation du Québec) et les autres partenaires (notamment le FRAPRU, le Chantier d’économie sociale, l’Association des groupes de ressources techniques du Québec et les représentants des municipalités et du milieu de la finance). Au début de 2015, le FQHC avait déjà levé 60 millions de dollars et était en voie de lever jusqu’à 200 millions de dollars d’ici 2020. Parce que les membres du FQHC n’arrivaient pas à s’entendre sur les modalités de gestion de ces sommes, cependant, celles-ci demeuraient gelées à la SHQ.
À l’automne 2015, suite à un débat vigoureux, le conseil d’administration du FQCH est finalement parvenu à un consensus. Les réseaux contributeurs obtiendraient une position de contrôle dans la gestion du fonds tandis que l’ensemble des partenaires demeurerait impliqués dans la mission de concertation. Le FQCH était alors résolument prêt à assumer la gestion de son fonds. Les contributions des coopératives et OSBL d’habitation, temporairement retenues par la SHQ, devaient maintenant être remises au FQHC. Les administrateurs s’attendaient à une réponse positive et sans équivoque du ministre alors responsable de l’habitation, Pierre Moreau.
En réponse, celui-ci a fait la sourde oreille. En fait, il aurait refusé de rencontrer les instances du FQHC tout au long de l’année 2015. Belle concertation! Les choses se sont clarifiées avec le dépôt du projet de loi 83 le 1er décembre 2015 (présentement à l’étude à l’Assemblée nationale). Le projet de loi décrète ainsi que les sommes versées par les coopératives et OBNL d’habitation au FQHC ne seront pas transférées de la SHQ vers le FQHC, mais resteront à la SHQ (voir article 71).
Le gouvernement vient ici trahir cruellement le milieu du logement communautaire. Rappelons que les locataires concernés ne sont pas très riches. Dans les OBNL d’habitation, en particulier, plus de 80 % des ménages ont un revenu annuel inférieur à 20 000 $. Les OBNL et coopératives d’habitation ont fourni un effort de prise en charge considérable pour lever des fonds autonomes. On craignait que le gouvernement en soit trop content, voire qu’il en profite pour se défiler de ses responsabilités en coupant dans ses propres investissements. C’était être naïf! Le gouvernement a effectivement diminué ses investissements – privilégiant le supplément au loyer privé, le nombre de nouveaux logements sociaux financés par AccèsLogis est passé de 3 000 à 1 500 par année avec l’arrivée des Libéraux – et voilà qu’il se permet en plus de s’approprier le fonds autonome du logement communautaire. C’est pire que le pire scénario envisagé!