Juste avant ma trentaine, une collègue de bureau d’à peine 36 ans et une cousine de 24 ans ont toutes les deux été diagnostiquées d’un cancer. La première en est décédée, la deuxième vient d’avoir son premier enfant. Grâce à elles, j’ai refait ma liste de priorités. Investir des sous pour en profiter lorsque j’aurai 70 ans (car l’âge de la retraite aura sûrement été repoussé quand j’y serai rendue) m’est devenu un peu absurde.
L’environnement fut à mon éducation dès le primaire. Je suis pratiquement sûre que si on avait les détails de cette étude de l’Université de Montréal sur la perception des changements climatiques par les Canadiens, on réaliserait que la génération Y, ceux qu’on appelle aussi les Milléniaux, est majoritairement en accord avec la science : la planète se réchauffe et c’est à cause des activités humaines.
En fait, je suis tellement en accord avec cette affirmation que je suis assez pessimiste quant à l’avenir. Je ne crois pas que mes enfants vivront dans un monde en paix. Je crains même qu’on vive des conflits majeurs reliés aux ressources, comme l’eau par exemple. Comme le Québec contient 2% de l’eau potable mondiale, je me dis que nous ne resterons pas isolés si un tel conflit devait advenir. Mes enfants auront-ils à vivre une guerre mondiale? J’espère que non, mais avec la montée des tensions mondiales, liées aux ressources ou aux conflits religieux, affirmer que c’est impossible serait du déni.
Je fais également très peu confiance au monde financier. Je me sens mal à l’aise d’investir dans les banques et des compagnies qui accélèrent le changement climatique, les inégalités, la pauvreté. Ces gens très riches nous feront bientôt subir une autre crise financière et ils n’auront aucune gêne à demander à nos gouvernements (qu’ils ont tout fait pour affaiblir avec les paradis fiscaux) des fonds d’urgence pour se sortir du trou. Non, je ne fais pas confiance aux gens chargés de la gestion de mon argent. Quand j’investis dans des REER, je me dis que cela me sert surtout à récupérer de l’impôt. À faire des RAP pour m’acheter un condo (ce que j’ai fait) et un REEP pour financer la fin de mes études (ce que je viens de faire).
Je ne me fais pas d’illusion : j’aurai peu de sous à ma retraite pour vivre. Des peanuts. Mon revenu a toujours été trop limité. La pente à remonter est énorme. Quand je reçois le rapport officiel de la RRQ, je ris jaune à chaque fois. Depuis mes 18 ans, j’ai été étudiante, enceinte deux fois, mère au foyer, travailleuse autonome, salariée à temps partiel, puis étudiante encore. Bilan : mon estimation ne donne pas un gros montant à 65 ans.
Ma planificatrice financière est adorable et m’a rassurée dernièrement en disant que les choses vont s’améliorer avec le temps. Je connais nos projets d’avenir et je sais bien que non. Quand j’aurai fini les études, je ne crois pas que je vais me mettre à travailler à temps plein. Avec deux enfants en bas âge, on préfère, mon chum et moi, diminuer nos heures de travail (donc opter pour le temps partiel) afin d’être plus souvent à la maison, de visiter la famille plus longtemps lors de fins de semaine allongées, d’être disponibles pour les bébés et nos projets personnels.
Ça veut dire plus de temps, mais moins de revenus. Moins de possibilités de REER et de REEE. Parce que les sous qui restent servent à manger, se loger et payer la garderie, les assurances, les médicaments, etc.
En faisant le choix d’être à temps partiel, on s’est dit qu’on prenait notre « retraite anticipée » tout en restant actif sur le marché du travail. Adieu gros montant dans les REER pour la retraite de l’avenir, bienvenue petits moments de vie directement dans le présent.
Ces temps-ci, la génération Y attire l’attention, car ses membres n’investissent pas dans leur avenir et ils préfèrent voyager. Il parait qu’on préfère les expériences à la propriété ou aux investissements. Comme de fait, je pars au Japon dans un mois, avec toute la famille à part ça. Un mois à Kyoto, sous les cerisiers, à faire découvrir cette culture adorée à nos bébés. Ce sera notre troisième séjour au Japon…
Ce n’est pas sage. Ces économies auraient sans doute mieux fructifié dans un compte REER. Mais qui me garantit que nous pourrons voyager aussi facilement dans une décennie? Il y a dix ans, je rêvais de visiter la Mésopotamie et l’Égypte. Alors que ce n’est vraiment pas le temps d’aller faire un tour en Syrie, n’est-ce pas? Comme je vous l’ai dit, je suis pessimiste quant à l’avenir. Très pessimiste.
Alors je profite du présent parce qu’il ne me reste que cela. YOLO n’est pas un phénomène si nouveau: on disait carpe diem «dans l’ancien temps».
Je ne sacrifierai pas mon présent pour un avenir difficile à cerner. La retraite? Je ne compte pas en prendre. Je mourrai comme j’ai vécu : en travaillant et en me préservant si possible des espaces de liberté pour continuer ce que j’ai commencé à construire dans ma vingtaine.
Car ce n’est plus la mort qui me fait le plus peur. C’est de n’avoir jamais suivi mes aspirations avant qu’arrive ce moment où tout devient impossible.
Les petits bonheurs ne sont pas devant. Ils sont maintenant.