Au départ pour le journal Voir, ensuite pour les Francs Tireurs et hier encore pour le Journal de Montréal, Radio X et LCN, Richard Martineau a été de tous les combats rétrogrades de sa génération. La liste des réactions de ce philistin est d’ailleurs si longue qu’elle semble interminable. Suite à la mort par balles du jeune Fredy Villanueva, en 2008, il donne généreusement la parole aux victimes… soit les policiers du SPVM; en 2009, pendant le confit au Journal de Montréal, il s’affiche fièrement comme briseur de grève; en 2012, il compare les étudiants en grève à Magnotta, psychopathe ayant décapité un jeune étudiant étranger; en 2013, au mépris des femmes les plus vulnérables au monde, il ouvre son émission vêtu d’une burqa …
Lorsqu’une personne manque trop d’intelligence pour répliquer à un raisonnement rationnel par un autre, elle se doit de caricaturer la position de son adversaire, histoire de la rabaisser à un niveau qui lui est intelligible. Pour ce faire, Richard Martineau utilisait ses indispensables épouvantails : les «musulmans-terroristes», les «manifestants-casseurs», les «syndicats-violents», les «féministes-frustrées», les «groupes de pression dictateurs»… C’est en s’appuyant sur ces ennemis de paille qu’il pouvait donner l’élan nécessaire à ses rafales de postillons extensifs : «Quoi?!? GNA? Pourquoi pas GNAGNA tant qu’à faire!», «C’est quoi la prochaine étape? GNAGNAGNA je gage?», «Un peu plus et GNAGNAGNAGNA? C’est INACCEPTABLE!!!!!!!!!».
Son manque de talent fut immense. Ses textes étaient systématiquement truffés de MAJUSCULES, de caractères GRAS, de points d’exclamation (généralement groupés!!!!!) et d’interrogation (une phrase sur trois?). Lorsque les mots venaient à lui manquer, ces petits dessins venaient fidèlement à la rescousse. Sans oublier les nombreux calembours de mononcle pas drôle : le «gouverne-maman», la «go-gauche», les «pôvres syndiqués»…
Ce manque d’aptitude était également enrobé d’une éclatante absence de rigueur. Un rien pouvait lui donner des «idées» pour de nombreuses et fort répétitives chroniques : les propos d’un chauffeur de taxi, un courriel (qu’il soit authentique ou faux importe peu ) ou une discussion avec la pauvre Sophïsme Durocher. Autant de petits morceaux de réel plus ou moins bricolés qui servaient de caution à ses caricatures. Et lorsqu’il manquait d’anecdotes pour confirmer avec aplomb son absence de réflexion, il lui suffisait de les inventer : «Oh, ils ne le diront pas aussi clairement! Mais c’est ce qu’ils laissent sous-entendre», «On en vient à se demander si elle n’a pas été envoyée par des extrémistes pour tester les limites de notre système», «Les manifestants auraient aimé ça, que ça pète, que ça explose»…
Se contentant d’ériger ses préjugés de petits bourgeois bedonnants ― «Allloooooo!!!!» ― en fausses évidences, Richard Martineau ne fit jamais d’analyse. Il savait faire l’économie de la démonstration, et le réel, dans ce qu’il a de vaste et contradictoire, ne fut que très parcimonieusement mis à contribution. Cas clinique : Richard Martineau instrumentalisa jusqu’au silence de ses adversaires. Halluciné, il fit littéralement parler ces non-dits pour donner du poids à ses préjugés convenus.
Ce remarquable manque de talent resterait incompréhensible s’il n’était fait mention de son pathologique narcissisme. Jamais ― nous allions écrire : JAMAIS!!!! ― Richard Martineau n’a admis ses torts ou ses mensonges, et ce malgré les très nombreux blâmes du Conseil de presse pour «information inexacte, propos discriminatoires et préjugés». Plus encore : Richard Martineau parlait constamment des réactions aux textes de Richard Martineau. Cela lui permettait de se nuancer, de se rendre hommage ou d’ajouter quelques lignes à ses préjugés. Ses chroniques n’auront été, au final, qu’un dialogue avec lui-même. «Mon épouvantail a dit GNA!!!! On a dit de moi que j’étais GNA! Vous êtes pas TANNÉS de ceux qui disent GNA? Je suis contre ceux qui disent GNA!!!!!».
Vers la fin de sa très ― très! ― longue carrière, il a même affirmé que ceux qui n’avaient pas compris le deuxième degré de son article étaient des «imbéciles» et des «analphabètes». Manifestement, personne de son entourage n’avait cru bon lui expliquer qu’un deuxième degré doit normalement être précédé d’un premier… et que zéro (des propos imbéciles) plus zéro (une tentative manquée de parodier des propos imbéciles), ça donne toujours zéro (une nouvelle chronique de Martineau).
Ce narcissisme était à son tour assorti d’un perpétuel sentiment de persécution. L’insensibilité du chroniqueur à l’égard des victimes de brutalité policière, des femmes en difficulté et des pauvres se transfigurait, lorsqu’il s’agissait de défendre les policiers, les riches et… lui-même, en une sensiblerie des plus troublantes. En 2012, il pleure tel un veau sevré trop vite parce que son visage et celui de la pauvre Sophïsme Durocher se retrouvent ― oh comble de la violence! ― sur des pancartes. L’année suivante, alors qu’il est en tournage sur le campus de l’université, il se plaint des gros mots lancés par des étudiants de l’UQAM ― ceux-là même qu’il avait méprisés dans quelques dizaines de chroniques. En 2015, sans même se rendre compte qu’il était un peu drôle, il en rajoute en soutenant «que nous vivons dans une culture de l’insulte»…
Les formules qu’il employait témoignent également de cette posture victimaire, par ailleurs typique de la droite populiste : «Est-ce qu’on a le droit au Québec de BLA BLA sans se faire TARATATA par les bien-pensants?», «La majorité en a ras le bol d’être le souffre-douleur du monde», «Quand un blanc catholique critique l’islam, c’est nécessairement un raciste, un islamophobe», «Pathétique… C’est TOUJOURS de notre faute…»…
En 2016, par un phénomène inexpliqué, le public, peut-être par lassitude de ce sempiternel concours de stupidités, arrêta de lire ses chroniques et d’écouter ses émissions télévisées et radiophoniques. Ses articles cessèrent d’être lus et partagés, ses propos ne furent plus l’objet d’aucune conversation. Chaque fois qu’une allusion était faite à ce cervelet capitonné d’idioties, la réponse fut désormais : «Ti-Coune? Connais pas!».
Jamais plus nous n’entendîmes parler de lui.
Il laisse dans le deuil des hommes blancs apeurés, des policiers victimes des minorités visibles, une foule de corporations à la merci des travailleurs et une civilisation en péril.
Sa dépouille sera exposée aux coins des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent, à Montréal. La pluie, le vent, les chiens et les oiseaux auront la chance de transformer ces restes en une œuvre rendant hommage à l’infinie profondeur de la bêtise humaine.
Que Dieu ait son âme. Pis qu’y s’arrange avec.