Pour ma part, je lis mon fil d’actualité comme au quotidien, encore une fois avec l’inquiétude qui me fait froncer les sourcils devant mon écran. Je m’indigne de façon très émotive devant les titres qu’arborent les chroniques, peignant le portrait tantôt du tueur, tantôt du tué. Tantôt du méchant, tantôt de la victime.

La ferveur sensationnaliste de notre journalisme contemporain trace une nouvelle fois la cartographie du préjugé et de son entretien partout au Québec. Le manque d’objectivité de bien des titres me fait froid dans le dos. À une époque où dans une société comme la nôtre, on revendique le droit à la démocratie et au respect des droits humains, au quotidien, nous jetons de l’huile sur le feu sur ce qui nous fait jouir ou simplement injurier les plus faibles.

La ferveur sensationnaliste de notre journalisme contemporain trace une nouvelle fois la cartographie du préjugé et de son entretien partout au Québec.

Le devoir de communauté

Lac-Simon, ou Samosagigan en langue algonquine est une communauté anishnabe de l’Abitibi à une heure de Val-D’or, au paysage grandiose et au lac d’un calme indéfinissable, au cœur du parc de La Vérendrye. Il s’agit d’une collectivité qui travaille à l’insertion sociale de ses décrocheurs scolaires, en intégrant des cours de charpenterie et de menuiserie en cinquième secondaire, ainsi qu’un D.E.P. en travail manuel au sein du même bâtiment écolier. L’objectif : aider la jeunesse de 15 à 35 ans à acquérir des savoirs manuels, pour ensuite mieux les faire participer à la communauté. Ils répareront les maisons des aînés, entretiendront les bâtiments, construiront des canots ou des trappes pour la chasse. Tout ce qui est utile pour la communauté, qui leur donnera du travail et qui aidera à plusieurs autres réalisations quant à la revitalisation et à la revalorisation de la culture traditionnelle anishnabe. Une collectivité qui travaille autant de front avec la ville voisine pour tenter le rapprochement entre peuples, entre Québécois-e-s et Anishnabeg, pour le mieux-vivre collectif, et ainsi faciliter les changements de repères lorsque certains s’en vont étudier ailleurs dans la région.

Depuis le 15 février, une nouvelle vidéo mise en ligne par la chaîne Avis De Recherche-TV (ADR-TV) fait le tour des réseaux sociaux; «À la mémoire de Thierry LeRoux». ADR-TV s’était rendue en novembre 2015 dans la communauté algonquine pour y réaliser un reportage, y dresser le portrait de Lac-Simon et le travail de ses policiers. LeRoux a participé à ce tournage. L’extrait présente donc des images muettes du jeune policier et de son coéquipier Anishnabe, avec une musique qui souligne leurs faits et gestes, et surtout, le regard que porte LeRoux sur son devoir. L’insigne de la police de Lac-Simon sur son épaule, avec l’inscription en langue native «Anishnabe Takonewini», témoigne d’un dévouement de la part du jeune homme envers la communauté de Lac-Simon.

Nous ne pouvons imaginer à quel point ces drames sont déjà trop lourds à porter, et ce, pour l’ensemble des communautés autochtones du pays.

Un fait que ne rapporteront pas les journaux de la province. Certains préféreront choisir des titres pour mieux «épicer» les différentes versions de la tragédie. Titres aux penchants condescendants ou moralisateurs, souvent à la une. Ce qui m’effraie le plus, en effet, c’est que nous passons tous collectivement (encore) à côté d’une fabuleuse occasion d’éduquer en matière d’enjeux historiques coloniaux. Nous ne décrirons jamais en détail les situations de crise et le contexte social où le désespoir humain est vecteur de ces résultats tragiques beaucoup trop fréquents. Nous ne pouvons imaginer à quel point ces drames sont déjà trop lourds à porter, et ce, pour l’ensemble des communautés autochtones du pays. Nous sommes aveuglés par la sensation que crée le meurtre d’un policier par un Anishnabe, dans une réserve déjà recluse géographiquement, mais surtout, par le traitement médiatique atroce perpétré par le Journal de Montréal, comme en mars 2013. La une rapportait la mort d’un homme «dévoré» par les chiens errants. La communauté de Lac-Simon a été ostracisée des mois, attaquée de toutes parts, n’allégeant pas le poids du deuil de cet homme ainsi que le traumatisme d’une histoire semblable. De quoi raviver la braise du regard extérieur : être constamment jugé et rabaissé parce que la mort semble rôder autour de la réserve, cela justifiera le suicide. Car l’espoir ne semble pas exister. Le souffle semble manquer. Pourquoi donc continuer?

Être Natif sur la terre natale

Cela me rappelle tout à fait la propagande médiatique sans précédent entourant la Crise d’Oka de 1990. Le drame de Lac-Simon évoque froidement un parallèle avec le 11 juillet de cette année-là, jour où Caporal Lemay est tombé d’une balle (perdue) dans la poitrine. Remarquez cette dualité dans ces événements : un policier, un autochtone. Pour ceux et celles qui ont visionné le documentaire Québékoisie, la sœur du caporal souligne le hasard funeste qu’une seule balle ait atteint l’homme par un trou au niveau de l’aisselle de son gilet pare-balles. Autrement, il ne serait pas décédé des suites de ses blessures. Nous n’en serions certainement pas là en termes de relation entre les Québécois-e-s et les Premières Nations du Québec (et d’ailleurs). L’histoire de ce vieil homme Mohawk (Kanienkeha’ka, de leur vrai nom) qui a été emporté par ses blessures suite à une lapidation à LaSalle au cours de la Crise, jour où des membres de la communauté de Kahnawake tentaient de sortir de la réserve parce que les temps étaient devenus insupportables, n’a jamais été abordée dans les médias traditionnels. Il était devenu dangereux d’être un Natif sur la terre natale.

Questionnez-vous sur l’instrumentalisation de la mort. Je me souviens il y a un an, lorsque la jeune Ojibwa, Makayla Sault, est décédée des suites d’une maladie incurable. Elle avait été traitée dans une institution évangélique de la Floride, rappelons-nous. Seulement, il a été rapporté que ses parents avaient choisi un traitement naturel et traditionnel. Ceci a enflammé les réseaux sociaux de divers débats autour de la médecine traditionnelle autochtone et même, de la pertinence de «ces» cultures natives. On se souviendra également de cette lumineuse «intellectuelle» allant, dans une chronique pour un journal québécois à grand tirage, jusqu’à étiqueter à tout jamais par conviction biaisée ces mêmes cultures comme étant «mortifères et anti-scientifiques».

Combien de Québécois-e-s aujourd’hui restent effrayé-e-s à l’idée d’imaginer un Autochtone avec un fusil? Une certaine génération est marquée par une Crise qui s’est déroulée entre le gouvernement et la communauté de Kanesatake, près d’Oka, en 1990. Le traitement médiatique subjectif aura beaucoup contribué à l’image négative des Autochtones et cela, trop peu de gens peuvent le nommer. Il est grave en effet d’entretenir continuellement au sein des médias nationaux préjugés, clichés et stéréotypes. Ne pouvons-nous pas nous plaindre du ton presque diffamatoire employé pour parler du Lac-Simon, de ces seules histoires effrayantes qui sortent de la communauté et tapent dans l’œil des journalistes?

Il est grave en effet d’entretenir continuellement au sein des médias nationaux préjugés, clichés et stéréotypes.

Une rédemption pour le mal de vivre

Lac-Simon est une communauté avec un mal de vivre, nous révèle le rappeur Samian, originaire de Pikogan, en entrevue à l’émission 15-18 de la Première Chaîne de Radio-Canada. Nous ne le cacherons pas; telle est la réalité. Samian mène cependant dans la lumière de l’espérance les destinées interrompues des deux jeunes hommes, Anthony Raymond Papatie et Thierry LeRoux, en imaginant «probablement que ces deux jeunes avaient les mêmes rêves, les mêmes passions. Probablement que ces deux-là auraient pu avoir un avenir en commun

J’ose imaginer LeRoux parler quelques mots en langue anishnabe, rire avec les jeunes ados dans la rue, faire des blagues à saveur autochtone avec ses coéquipiers Anishnabe, caresser les chiens à la vie bien simple, manger au casse-croûte Widjia (qui signifie «mon ami»), avoir appris à respirer l’air pur de la forêt environnante, enveloppant la communauté et les cœurs d’une certaine chaleur réconfortante lorsque le monde de l’extérieur se fait trop menaçant pour l’intégrité.

Sauf que ça, qui en fera part? Qui expliquera la douleur béante, intergénérationnelle, de Raymond Papatie? Qui fera la lumière douce sur le contexte postcolonial de nos communautés? Ainsi que sur la générosité de nos intervenants qui ne sont pas Anishnabe, qui ont le courage de venir affronter avec nous les démons hérités de la colonisation?

Il faut apaiser la colère, l’incompréhension, l’indignation, le deuil, en se donnant le droit d’imaginer l’humanité au-delà du meurtre et de la mort.

Il faut apaiser la colère, l’incompréhension, l’indignation, le deuil, en se donnant le droit d’imaginer l’humanité au-delà du meurtre et de la mort. Imaginer pour ceux et celles qui se côtoient la brèche rédemptrice et la pointer du doigt pour guider les blessé-e-s vers la sortie de l’impasse. Soulager le fardeau pour cesser de s’apitoyer sur son sort et blâmer l’histoire, et autant dévorer les plus faibles dans la grande question de la survie des peuples. Accepter d’avoir le regard tourné dans la même direction pour guetter l’avenir. Un territoire commun établit un avenir commun.

Mes condoléances à toutes les familles touchées par le drame, Raymond, Papatie et LeRoux, et aux communautés d’origine. Que toutes les morts ne soient pas vaines.