Le 13 novembre, François a réussi à acheter au dernier moment son billet pour le Bataclan. Dans la salle, il a retrouvé deux amies. L’une d’entre elles n’en ressortira pas vivante. Pour elle, mais aussi pour toutes les personnes qui ont vécu «bien pire que lui», François refuse de se considérer comme une victime. «Je n’arrive pas à me dire que j’étais là-dedans, comme si c’était dans un film d’action duquel je me serais bien tiré». Il s’est d’ailleurs senti «étranger» aux hommages faits aux victimes de cette soirée tristement historique puisque, pour lui, la conclusion a été heureuse. «Je sens que ce serait un peu indécent de ma part de me plaindre. Je trouve ça touchant pour celles et ceux qui ont perdu un proche ou les gens qui ont plus souffert. Mais moi j’ai été heureux dans mon malheur, donc je relativise».

Vivre une deuxième fois

Dans les premières semaines qui ont suivi, le jeune homme de 27 ans ressent le besoin intense de célébrer la vie. «Le premier sentiment, c’était du bonheur. On a l’impression de vivre une deuxième fois».

François se sent alors en décalage face aux visages graves et décide de «casser la lourdeur ambiante» par l’humour. Dans un rire, il raconte : «Une semaine après, on a fait péter un bouchon de champagne chez des potes ; il a rebondi sur le mur et il a atterri sur moi. J’ai dit : « Non, mais pas encore, quoi! » J’avais qu’une envie, c’était que tout redevienne normal». Cet événement, il le voit comme un nouveau départ. «Ça a libéré certaines choses, enlevé quelques peurs, je l’ai pris comme une inspiration». Il quitte son travail pour faire ce qu’il aime vraiment, et décide de reprendre ses passions, de se remettre à la guitare et de voyager.

«Ça a libéré certaines choses, enlevé quelques peurs, je l’ai pris comme une inspiration»

La nécessaire routine

Une fois ces premières semaines passées, François prend plaisir à être seul. Il prend le pouls de Paris, retrace son parcours jusqu’au Bataclan, retourne à un concert dans une petite salle de Pigalle. «C’est nécessaire et important de le faire. Il faut passer à autre chose». Malgré tout, il développe de nouveaux réflexes, comme repérer les sorties de secours quand il rentre dans une salle de spectacle, regarder n’importe quelle personne qui court dans le métro. «Il n’y a qu’à Paris que l’on ressent ce climat d’insécurité. Juste après Noël, il y a eu beaucoup de menaces, d’alertes à la bombe. J’essaie d’en faire abstraction, toutes ces pensées vont s’atténuer. Cet événement doit nous faire remonter la pente, pas nous casser à vie».

François est maintenant à l’étape d’introspection. Il n’a jamais ressenti le besoin de rencontrer d’autres rescapé-e-s. «Il y a eu ce phénomène de mode de nous appeler la Génération Bataclan, une génération qui sort, qui va à des concerts, qui boit en terrasse. Je trouve ça un peu bizarre; ça nous opposerait aux autres. Si on regarde les victimes, il y a eu de tous les âges, de tous les pays. Comment peut-on nous mettre dans un seul et même bloc?»

«J’essaie de comprendre comment j’ai pu passer entre les balles, avec quoi ils étaient armés, quel parcours ils ont fait dans la salle.»

Même s’il trouve «génial» que certain-e-s rescapé-e-s aient créé des associations, François, lui, préfère lire des témoignages dans la presse, s’informer sans cesse sur les événements. «L’information est importante, on a tous besoin des détails».
Pour n’en oublier aucun, justement, il se repasse la scène en boucle, «comme une reprise dans un jeu vidéo». «J’essaie de comprendre comment j’ai pu passer entre les balles, avec quoi ils étaient armés, quel parcours ils ont fait dans la salle.»
Il assure ne trouver «aucune fascination morbide» dans ce cheminement. Il veut ne jamais oublier, se préparer au cas où il y aurait une prochaine fois, et tenter de «comprendre d’où viennent les dangers».

Expliquer n’est pas excuser

Dans sa volonté de s’informer pour aller de l’avant, François cherche aussi à comprendre ceux qui auront changé sa vie à jamais. Il regrette la phrase du Premier ministre, Manuel Valls, qui a déclaré en décembre dernier qu’«expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser».

«Je pense qu’il faut pousser la réflexion assez loin pour savoir ce qui les a motivés. Il faut des experts, des sociologues, des psychologues, et il faut qu’on entende ces voix dans les médias». Convaincu qu’une profonde remise en question est nécessaire, François va plus loin : «Il faut chercher les causes, rationaliser tout ça. Il faut comprendre d’où vient le problème et le régler. La simple répression, la ghettoïsation, ça n’aidera jamais. Pour ne pas que ça se reproduise, il faut trouver des manières de vivre autrement».

François regrette d’ailleurs certaines décisions du gouvernement français depuis les trois derniers mois. «Je me demande encore pourquoi on n’arrive pas à s’organiser efficacement sur la sécurité. Le gouvernement a fait trop de choses dans le désordre, des mesures trop brutales, maladroites et sans grand intérêt. La loi sur la déchéance de nationalité, pour moi, n’a pas beaucoup de sens».

Montée de la violence

Ce que François regrette surtout, c’est la considérable montée du Front National au premier tour des élections régionales, le 6 décembre dernier. «Le soir même des attentats, je me suis dit : « Ça va servir aux extrêmes ce qui vient de se passer. On entre dans une autre époque ». Ça n’aide pas. Il y a et il y aura encore des mouvements de plus en plus radicaux de tous les côtés, je suis très pessimiste là-dessus». François s’attriste également de l’islamophobie grandissante en France et notamment du sort réservé aux réfugié-e-s provenant de la Syrie à Calais, parfois agressé-e-s violemment. «C’est assez moche. Ces groupes radicaux provoquent un climat d’insécurité. Ça ne donne plus envie de rester en France d’ailleurs.»

Le soir même des attentats, je me suis dit : « Ça va servir aux extrêmes ce qui vient de se passer. On entre dans une autre époque ».

Témoigner pour changer les choses

C’est justement dans le but de vouloir changer les choses que François a décidé de témoigner, pour éviter toutes les «conclusions trop hâtives», les «débats passionnés» et «provoquer la réflexion». Hier soir, comme une nécessité, et par symbole de résistance, il a assisté au concert des Eagles Of Death Metal à l’Olympia, accompagné de ceux qui l’ont aidé à se sortir vivant du Bataclan. Les seuls avec lesquels il se dit capable d’y aller. «Ce n’était pas un moment de recueillement. Je voulais finir ce concert dans la joie. C’était un message d’espoir. C’était combatif.»