Le 1er janvier 1994, jour de mise en application de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), des bataillons d’hommes et de femmes armé-es et cagoulé-es occupèrent les principales villes du Chiapas. Le monde entier venait de découvrir cet État oublié du Mexique et du même coup le porte-parole des zapatistes, le sous-commandant Marcos. Après plusieurs années de tensions et de présence militaire accrue dans la région, la situation s’est passablement calmée au début des années 2000.
Mais la fin des tensions n’a pas signifié la fin du mouvement zapatiste : en août 2003, les commandantes de l’EZLN ont annoncé la fin des points de contrôle routiers et du même coup l’inauguration de cinq caracoles (escargots, en espagnol) éparpillés dans l’État du Chiapas. Les caracoles sont des communautés où l’on trouve des « assemblées de bonne gouvernance », qui ont des pouvoirs de gestion, mais aussi des pouvoirs juridiques. La devise des caracoles est d’ailleurs « lentement mais sûrement ».
Les zapatistes à l’œuvre : le caracol d’Oventic
Oventic est un caracol de l’EZLN situé à une heure et demie de San Cristobal de las Casas. Très accessible parce que la route qui y mène est desservie par une ligne de transport collectif, son entrée est par contre gardée en tout temps par des gardes masqués (hommes ou femmes). Pour y entrer, il faut remplir un formulaire d’identification. Signe que la situation s’est passablement calmée, lors de mon arrivée, le garde qui venait de prendre la relève a mis longtemps à réaliser qu’il n’avait pas encore mis sa cagoule. Cette situation aurait été impensable il y a à peine quelques années.
En entrant dans Oventic, on est tout de suite frappé par les couleurs et les murailles qui ornent les bâtiments. Chaque cabane a son slogan. Il s’agit d’un véritable choc comparativement aux autres communautés non zapatistes croisées sur la route ; la pauvreté étant endémique dans les montagnes du Chiapas, on ne s’attend pas à y voir autant de couleurs et autant d’ordre. Pas que Oventic soit une communauté particulièrement riche, mais l’omniprésence de fresques témoigne plutôt d’une prise en main et d’une certaine fierté de la part de la communauté.
Parler d’Oventic comme d’une communauté n’est pas tout à fait exact. Il s’agit plutôt d’un centre de service que d’une communauté à proprement parler. En effet, Oventic – en tant que caracoles – agit comme une sorte de capitale pour les communautés zapatistes avoisinantes qui sont davantage enfoncées dans la jungle et les montagnes. À Oventic, on trouve une école et des dortoirs pour ses pensionnaires. Dans une région sous-scolarisée, la présence d’une école gratuite fait du bien. L’enseignement s’y fait en espagnol et en tzetzal, la langue autochtone locale. Oventic met également à la disposition des communautés zapatistes un hôpital, une salle d’assemblée, des bureaux de mairie pour les villages voisins, un bureau pour les affaires féministes ainsi que des commerces d’artisanat.
Quel avenir pour l’EZLN?
Plusieurs commentateurs et commentatrices venant des multiples tendances de la gauche ont exprimé des réticences quant au mouvement zapatiste. Pour certain-e-s anarchistes, l’EZLN serait trop autoritaire ; pour certain-e-s marxistes, il ne serait pas assez lié aux luttes du prolétariat ; d’autres disent que l’image et l’attrait touristique des zapatistes auraient perverti leur mouvement ; enfin, les plus radicaux croient que leur volonté de ne pas utiliser les armes signifie la fin de la lutte. Comme tout mouvement aspirant au changement social, l’EZLN n’est pas exempt de contradictions. Lui-même ne prétend pas à la perfection. Une chose est sûre, c’est qu’après plus de 20 ans de résistance ouverte à l’ordre néolibéral, les zapatistes sont toujours là et ils continuent de s’organiser sur leur propre base afin de montrer qu’un autre monde est possible… lentement mais sûrement.