Je ne l’ai jamais beaucoup aimée, cette réforme. Parce que je trouve qu’elle ménage la chèvre et le chou, parce que je trouve qu’elle ne va pas assez loin à mon goût, mais, surtout, parce que je trouve qu’en la faisant, on accorde une importance beaucoup trop grande à l’orthographe, qui est, disons-le, de la décoration. Se préoccuper de l’orthographe d’une langue, c’est se préoccuper de la couleur des bulletins de vote au lieu de réformer le mode de scrutin. Mais, justement, calmons-nous. C’est de la petite bière.
Les règles orthographiques du français sont presque toutes des accidents de parcours de l’ancien temps ou des solutions à des problèmes devenus anachroniques aujourd’hui. Pourquoi y a-t-il un « h » à huit et huis? Pour éviter de les confondre avec vit et vis, à l’époque où on ne faisait pas la différence graphique entre le « u » et le « v » (par exemple, on écrivait « Lovis » pour « Louis » sans problème). Pourquoi y a-t-il « gt » à doigt et « ps » à temps? Pour percevoir la saveur latine des mots, à l’époque où on souhaitait faire du français une langue aussi noble que le latin. Pourquoi le mot poids prend-il un « d »? Parce qu’on a cru qu’il venait du latin pondus, alors qu’en fait, il vient de pensum…
Ça ne fait pas longtemps que le commun des mortels accorde de l’importance à l’orthographe. C’est seulement depuis le XIXe siècle. Avant, on écrivait n’importe comment, et on s’en foutait carrément. L’orthographe (et le respect des règles de l’écrit de manière générale) était une préoccupation des imprimeurs et des grammairiens. C’est lorsqu’on a instauré l’instruction publique obligatoire que le respect des règles grammaticales et, corollairement, le respect de l’orthographe ont pris une valeur sociale. Et comme l’orthographe française est un ramassis de trucs illogiques et inutiles, pour convaincre les gens de l’apprendre, on a diffusé l’idée qu’elle faisait partie des structures profondes et essentielles de la langue. Mais l’orthographe n’est qu’un code graphique, une convention sociale.
Mais ça, c’est des élucubrations de linguiste. Restons dans le concret. Il y a plein de belles légendes urbaines qui circulent au sujet de cette réforme. Comme celle selon laquelle on aurait maintenant le droit d’écrire (et de dire) « des chevals ». Non, l’orthographe rectifiée ne s’attaque pas au pluriel en « -aux » des noms en « -al ». De toute façon, ça, ce n’est pas de l’orthographe, c’est de la morphologie. Depuis quelque temps circule aussi la fameuse blague « Je me fais un p’tit jeûne / Je me fais un p’tit jeune », et tout le monde est bien content d’avoir pris la réforme en flagrant délit de mauvais fonctionnement. Pourtant, il aurait suffit de chercher si le mot jeûne avait été réformé. Et non, il ne l’est pas. Le mot croître non plus, d’ailleurs (ça, c’est pour couper l’herbe sous le pied à ceux qui voudraient opposer « j’ai cru » à « j’ai crû »). De toute façon, même s’ils l’avaient été, est-ce que ça aurait été si grave? Ce n’est pas comme si le français en était à sa première ambiguïté, quand même! Qui s’inquiète du fait que le verbe suivre et le verbe être à la première personne du singulier donnent tous les deux « je suis », que le mot feu peut faire référence à quelqu’un qui est mort ou à un élément qui produit de la chaleur, que le mot fils peut être un enfant mâle ou fil au pluriel? Personne? Mais ça cause des incompréhensions! Il ne faut pas tolérer ça!
Et une fois qu’on a démoli tous ces arguments, il reste, évidemment, celui du nivellement par le bas. Car le fait de tenter de réformer un système abscons, c’est du nivellement par le bas. Certains ont même créé le groupe « Je suis circonflexe », sur le modèle de « Je suis Charlie ». Car des humoristes qui se font massacrer au nom de la religion, c’est à mettre sur le même pied qu’un signe diacritique, n’est-ce pas? D’accord. Et bien moi, j’annonce que je crée le groupe «Je suis subjonctif imparfait». Si le subjonctif imparfait est disparu de l’usage courant, c’est à cause du nivellement par le bas, c’est indéniable. Il était trop difficile à gérer, alors les locuteurs francophones ont simplement cessé de l’utiliser. Et on ne l’enseigne même plus. Mais c’est épouvantable! Le subjonctif imparfait est l’essence même du français! Comment ose-t-on, sous prétexte qu’il est trop compliqué, se débarrasser d’un tel parangon? Et les déclinaisons latines? Le latin classique, ça, c’était quelque chose! Pas cette petite langue vulgaire qui ne change même pas ses mots selon leur fonction dans la phrase! Allez, c’est ça. On revient tous au latin classique. Ça aurait au moins l’avantage de nous donner le bon étymon pour poids…