En 2012, Marie-Ève Richard a eu un choc lorsqu’elle a lu l’une des lettres que son petit frère a laissées à sa famille lorsqu’il est disparu. « Maxime nous a écrit mot pour mot, « J’aurais voulu en parler, mais on m’aurait dit ‘Max t’es con, le suicide n’est pas une option’, alors j’ai préféré me taire », raconte la jeune femme. Ce message ostracise les gens qui pensent au suicide. Le but est d’aller les chercher, mais on leur dit que ce n’est pas une bonne idée et on bloque la conversation ».
Même si elle se dit d’accord avec la première partie du slogan, Marie-Ève croit que la deuxième partie peut être perçue différemment par les personnes en détresse psychologique. « Il ne faut pas dire à la personne que ce n’est pas une option, mais laisser la possibilité à la personne de réfléchir et l’amener à réaliser que ce n’est pas la bonne solution elle-même. »
À plusieurs reprises, Marie-Ève et sa mère ont écrit à l’AQPS pour faire part à l’organisme de leurs préoccupations par rapport au slogan, en vain. Elles savent toutefois que leur message obtient une certaine résonnance dans le milieu de la prévention du suicide, après en avoir parlé publiquement lors du congrès mondial sur la prévention du suicide en 2013. Marie-Ève y a livré un vibrant plaidoyer à cet égard, provoquant même une ovation debout. « Une femme qui travaille en prévention du suicide en Abitibi est venue me dire que je disais tout haut ce que tout le monde pensait tout bas », raconte celle qui a cet enjeu réellement à coeur.
À l’AQPS, on soutient être désolé si mère et fille n’ont reçu aucune réponse. L’organisme dit généralement tenter de répondre dans des délais raisonnables à ceux et celles qui lui écrivent. Il affirme cependant que des problèmes avec le slogan ont rarement été évoqués par le passé et insiste que l’association veut rendre le suicide inacceptable aux yeux de la société en général, plutôt que d’ostraciser les personnes en détresse.
Un fléau inacceptable
Avec un slogan en deux parties, l’AQPS veut justement minimiser les chances de mésinterprétation. « Tout dépend de la façon dont on l’amène. Si on dit « ça suffit, arrête de m’en parler », on bloque la conversation, évidemment, affirme l’intervenante et conseillère à la formation à l’AQPS, Lucie Pelchat. Pour nous, le slogan veut dire qu’on ne veut plus perdre de gens par suicide, que ce n’est pas acceptable en société d’avoir des taux suicides élevés. Ça veut dire qu’il faut mettre en place des programmes d’intervention. »
Le psychologue Gaëtan Roussy, du Centre professionnel de prévention du suicide de Montréal, ne croit pas que le slogan de l’AQPS ait un effet culpabilisant sur les personnes en détresse. « Beaucoup de messages peuvent être mal interprétés quand on est désespérés, fait-il valoir. Même si la personne comprend bien le message sur le coup, si elle se met à le ruminer seule, il peut prendre un tout autre sens. »
Il ne pense pas que la mauvaise interprétation de ce slogan soit à l’origine d’un tel geste malheureux. Il s’agit plutôt du manque de ressources et de l’enfermement dans le silence qui conduisent des personnes en détresse à passer à l’acte. « Si on croit qu’une personne ne va pas bien, on doit en parler à d’autres personnes de confiance et aller chercher de l’aide professionnelle. »
Malgré ses préoccupations, Marie-Ève Richard tient toutefois à faire valoir les bonnes intentions et l’excellent travail de l’AQPS. « J’aimerais juste qu’ils me répondent qu’ils se sont assis et ont réfléchi. Est-ce que si le slogan avait été différent, ça aurait changé? Je ne sais pas… mais ça aiderait déjà.»