Cela étant, certains de ceux qui ont critiqué mon texte sont allés plus loin en niant carrément l’existence du phénomène de l’islamophobie. À ceux-là, il suffit de rappeler la motion adoptée à l’unanimité par les élus du Québec, motion déposée par Québec solidaire et condamnant « l’islamophobie, les appels à la haine et à la violence envers les Québécois de confession musulmane».
Jusqu’ici, la controverse demeurait en quelque sorte légitime en supposant qu’elle était due à une expression plus ou moins équivoque dans mon article et, par ricochet, à l’incompréhension ou encore la remise en cause de mon affirmation. Par contre, il m’a semblé complètement illégitime que l’on ait pu m’adresser l’accusation de « Québec Bashing » à partir d’une telle compréhension. De même, je ne comprends pas comment un auteur puisse décrire un autre texte que j’ai publié au début de l’année 2015, «Why Charlie Hebdo Offends me? », comme une « publication troublante » (ses mots). J’ignore jusqu’à maintenant ce qui lui semblait troublant dans ce texte. Est-ce le fait que j’ai argumenté en faveur d’un traitement égal vis-à-vis de tous les malheurs qui frappent les êtres humains, de quelque confession et de quelque race qu’ils soient? Cet argument ne m’est d’ailleurs pas exclusif puisque plusieurs auteurs l’ont repris à l’occasion des récents attentats de Paris et de Beyrouth. Bref, j’invite les lecteurs à consulter l’article et à en juger par eux-mêmes.
Quoique avec hésitation, puisque je n’aime pas alimenter ce type de polémiques, je dois aussi dire que certains journalistes n’ont carrément pas respecté leur éthique professionnelle en traitant mon affaire. Tout à fait, certains m’ont attribué des propos que je n’ai jamais prononcés tellement ils me semblent non seulement insoutenables, mais totalement insensés. J’aurais ainsi dit que « les Québécois sont des islamophobes » et que « les sociétés catholiques sont moins ouvertes », des déclarations que je n’ai jamais prononcées hors contexte. En fait, outre leur scandaleuse généralisation, en demandant ainsi si les Québécois sont des islamophobes, ces journalistes créent des divisions et des barrières factices entre les identités citoyennes et religieuses de beaucoup de Québécois , en assumant qu’un québécois n’embrassera jamais l’islam et qu’un musulman ne sera jamais considéré comme un Québécois à part entière.
Le comble de ce manque de professionnalisme a néanmoins été atteint lorsque j’ai eu droit, au téléphone, à des questions sur des propos que je n’ai jamais dits. Confus, et pour s’assurer que nous étions sur la même ligne, j’ai osé demandé à la journaliste en question si elle a seulement lu mon article. Elle m’a avoué qu’elle n’avait lu que la phrase traduite rapportée par les médias ici au Québec. Sans commentaire!
Enfin, on mentionnait mon emploi antérieur dans une école islamique montréalaise. Je serais ainsi une personne controversée, voire à craindre, parce que j’ai travaillé dans une école où le hijab fait partie du code vestimentaire des filles. Quelques questions : (1) l’enseignant, qui tente de mettre du pain sur la table pour ses enfants, est-il la bonne personne à attaquer dans cette situation? (2) est-ce lui le responsable du code vestimentaire de l’école ou des règlements de l’institution? (3) si ces préoccupations sont sincères, les personnes qui les ont soulevées ne devraient-elles pas s’adresser plutôt au ministère de l’éducation, qui accorde les permis aux écoles privées? (4) en fin de compte, ne devraient-elles pas appeler le 911 si elles croient réellement que ces écoles représentent un danger pour la société québécoise? Au lieu de tout cela, on a préféré stigmatiser des jeunes québécois(es) de confession musulmane et leurs familles. Que l’on imagine le sentiment de ces jeunes lorsque, ouvrant leurs téléviseurs, ils se trouvent, au travers de leur école, diabolisés par certains médias locaux?
Bien entendu, ce que ces journalistes ont omis de dire à leurs lecteurs, c’est que la même école a (et avait) du personnel d’origines différentes, française et roumaine entre autres. À titre d’exemple, le conseiller pédagogique de l’école est un québécois de souche, un universitaire avec un doctorat et d’une carrière de 30 ans à l’université. Devrions-nous lui interdire une autre carrière en raison de son emploi de 7 ans dans cette école? Je ne pense pas.
Pour conclure, je dois dire que l’esprit du vivre-ensemble ne se construit ni avec ces attaques gratuites et personnelles, ni par la censure de nos concitoyens en brandissant des arguments fallacieux fondés sur des fausses analogies. Le vivre-ensemble se construit et se consolide grâce au dialogue responsable et au respect mutuel. J’ai passé des années au Québec en tant que chercheur et activiste qui travaille sur le vivre-ensemble et l’intégration des jeunes dans la société. J’ai appris de mes recherches que notre premier ennemi commun est l’ignorance. L’ignorance augmente la peur, la discrimination, le racisme, l’isolement, la désintégration, l’homophobie et l’islamophobie. Comme l’ont déjà soutenu Charles Taylor et Gérard Bouchard lors des travaux de la Commission sur les accommodements raisonnables, la solution à nos problèmes sociaux n’est pas dans la suspicion mais bien plutôt dans la rencontre interculturelle entre tous les Québécois.
Hicham Tiflati est chercheur principal avec l’étude « Canadian Foreign Fighters » à l’Université Waterloo; Coordonnateur de l’étude « Les musulmans canadiens en ligne » à l’UQÀM, et doctorant au département de sciences de religions à l’UQÀM. Sa thèse examine le rôle de l’école dans la (re) construction de l’identité islamique au Québec. Intérêts académiques : Radicalisation islamique; intégration; citoyenneté; enseignement islamique en Amérique du Nord. @htiflati