Dans le domaine du logement au Québec, l’économie sociale se trouve dans une impasse d’autant plus claire qu’elle est rarement soulignée. Pour changer de cap, c’est notre conception même du logement communautaire qu’il faut transformer. Plutôt que de voir le logement communautaire comme du logement abordable destiné aux ménages à faible revenu, il faut le voir comme une alternative enviable au logement privé, notamment aux condos.
Le logement communautaire: un complément
Au Québec, la principale mission du logement communautaire, surtout de type OSBL, est de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cette mission est tout à fait justifiée. D’une part, les besoins en logement sont réels. À Montréal seulement, des milliers de personnes sont sans-abri et des dizaines de milliers de ménages sont contraints à débourser plus de la moitié de leur revenu pour payer le loyer. D’autre part, le logement communautaire est plus en mesure de loger les ménages à faible revenu ou aux besoins particuliers que le logement privé, notamment parce qu’il est plus abordable — ne cherchant pas à enrichir un propriétaire, étant souvent subventionné par le gouvernement et appuyé par des groupes de ressources techniques et des institutions de la finance solidaire.
À force d’insister sur cette mission, cependant, se dégage une vision du logement communautaire comme logement de pis-aller: ceux qui en ont les moyens se paient un «vrai» logement privé, alors que les autres sont contraints de vive en logement social. Une telle vision renforce l’idée que l’économie sociale est une «économie de pauvres», qui se contente de complémenter poliment le capitalisme en s’occupant de ses exclus.
Le logement communautaire: une alternative?
Il existe pourtant une vision plus ambitieuse du logement communautaire qui permettrait de rivaliser avec le rêve capitaliste et hégémonique de la propriété individuelle. Cette vision souligne ainsi les avantages de vivre en logement communautaire, indépendamment de son niveau de revenu. Ces avantages incluent notamment l’occasion de tisser plus de liens et d’appartenir à une communauté à échelle humaine; de créer des économies d’échelle en mettant les ressources en commun, au bénéfice d’un grand jardin, par exemple; de mettre en pratique des valeurs communautaires et de solidarité, en cherchant le bien d’un groupe plus grand que celui de son seul ménage; d’exercer une liberté d’action plus étendue, en contribuant à choisir ses nouveaux voisins, par exemple; d’apprendre à participer à la vie démocratique, en prenant la parole en assemblée générale ou en s’impliquant au sein de divers comités; ou encore de faire un apprentissage de la diversité dans un contexte de mixité sociale, notamment intergénérationnelle.
Le Cohabitat Québec, qui a ouvert ses portes en juin 2013 dans le quartier St-Sacrement à Québec, illustre assez bien cette vision alternative de l’habitation. Inspirée d’expériences étrangères, notamment danoises, cette coopérative de solidarité permet aux ménages d’habiter dans leur propre appartement (ou maison de ville) tout en partageant plusieurs espaces en commun, notamment une cuisine et des chambres pour les invités. En prime: l’architecture magnifique, cosignée par nul autre que Pierre Thibault, a valu au Cohabitat une certification écologique LEED. Admirablement ficelé, le projet inspire des gens partout au Québec. En ce moment, d’autres projets de cohabitats sont notamment en friche à Limoilou et à Montréal. On le voit: l’économie sociale a la capacité d’offrir une alternative enthousiasmante à la propriété individuelle.
Des politiques à combattre
Cette vision émancipatrice du logement communautaire doit toutefois se battre contre un État hostile, qui préfère aider les propriétaires. Ainsi, s’il y a une chose que la Société d’habitation du Québec, par exemple, trouve difficile à tolérer, c’est que des ménages à l’aise puissent occuper des coopératives d’habitation ayant été construites à l’aide de programmes gouvernementaux. Ces ménages sont alors systématiquement accusés de «prendre la place» d’une personne dans le besoin. Dans le contexte actuel, ce réflexe est compréhensible, mais il ne faut pas perdre de vue le «vrai» problème: l’extrême petitesse du parc de logement communautaire au Québec.
D’ailleurs, si ces mêmes ménages «à l’aise» voulaient emménager dans une propriété privée, la puissance publique ne semblerait alors jamais assez en faire pour les aider: exonération du gain en capital sur une résidence principale, régime d’accession à la propriété, etc. On estime à quelque 9 milliards de dollars par année les dépenses fiscales du seul gouvernement fédéral destinées aux propriétaires. Et je ne parle pas ici de la surenchère à laquelle se mènent les municipalités pour séduire les propriétaires: Accès Condos, à Montréal, Accès Famille, à Québec, etc. Non seulement ces sommes ne vont pas à ceux qui peinent à se loger, elles renforcent un modèle d’habitation qui crée beaucoup d’exclusion.
C’est à ce consensus autour de la propriété individuelle, apparemment partagé aussi bien par les citoyens que par les élus, que les partisans du logement d’économie sociale doivent s’attaquer. En se contentant de justifier le logement communautaire en invoquant le «droit au logement», les acteurs politiques ne contestent pas l’idée fondamentale que le logement social est seulement censé occuper une place résiduelle et marginale dans notre parc de logement. Il faut au contraire rappeler qu’un autre modèle de logement est possible. Qu’au tout-privé s’oppose une vision plus inclusive et émancipatrice du vivre ensemble.