Après neuf années sous les conservateurs de Stephen Harper, les Québécois et les Québécoises ont appris à se faire une place dans la fédération canadienne. Moins centralisateurs que les libéraux fédéraux, les conservateurs ont réussi à gouverner sans entrer en collision directe avec le Québec au sujet du partage de pouvoirs. Après s’être épuisés durant des décennies de débats constitutionnels, le Québec et le gouvernement fédéral se sont murés dans une indifférence mutuelle.

Le nouveau premier ministre Justin Trudeau entre donc en territoire inconnu. Depuis l’arrivée de Pierre Elliott Trudeau à sa tête en 1968, le Parti libéral s’est toujours présenté comme le chien de garde de l’unité nationale canadienne. Devant la montée du nationalisme québécois, Pierre Elliott Trudeau a voulu combattre le feu par le feu. Ses politiques de bilinguisme, de multiculturalisme et sa Charte des droits et libertés étaient destinées à endiguer le mouvement séparatiste en transférant l’allégeance des Québécois et des Québécoises au palier fédéral. Le PLC a investi plus de 300 millions de dollars dans le programme des commandites dans ce but.

Héritier direct de Trudeau, Jean Chrétien a combattu avec autant d’ardeur le mouvement souverainiste. En tentant si fort de maintenir l’unité canadienne, le PLC a plutôt provoqué le référendum de 1995, remporté de peu. Force est de constater que leur combat n’a pas porté fruit. Divers sondages démontrent que l’appui des Québécois et Québécoises pour la souveraineté a diminué depuis, mais ils sont encore moins nombreux à se considérer Canadiens avant d’être Québécois.

Éviter la confrontation

Contrairement à ses prédécesseurs libéraux qui recherchaient activement la confrontation avec le Québec, Trudeau fils n’a pas intérêt à reprendre cette approche, même s’il défend lui aussi vigoureusement l’unité nationale.
En campagne électorale, Justin Trudeau s’est défini comme l’anti-Harper. Maintenant qu’il est au pouvoir, il doit se définir positivement, comme étant « pour quelque chose ». En annonçant We’re back, Justin Trudeau voulait évidemment signifier qu’il mettait au rancart les valeurs conservatrices. Exit la culture militaire, l’opacité et le musellement des fonctionnaires. Le PLC est de retour, mais ce retour ne doit toutefois pas rimer avec une nouvelle confrontation avec le Québec.


Contrairement à ses prédécesseurs libéraux qui recherchaient activement la confrontation avec le Québec, Trudeau fils n’a pas intérêt à reprendre cette approche, même s’il défend lui aussi vigoureusement l’unité nationale.

Le climat politique n’est pas à l’affrontement, mais semble plutôt favorable à la collaboration entre le Québec et le fédéral en ce moment. Justin Trudeau ne doit pas considérer le déclin du mouvement souverainiste comme une carte blanche pour autant. Il est plus sage d’y voir une démonstration que la non-confrontation a été une meilleure approche pour faire face au nationalisme québécois, comme Harper avait réussi à le faire.

Le défi du nouveau premier ministre sera de construire l’unité nationale sans braquer quiconque. À ce chapitre, il peut tirer des leçons de Pierre Elliott Trudeau, mais aussi de Brian Mulroney. Celui-ci avait tenté de faire la paix avec le Québec, mais sa position perçue comme trop conciliante lui a mis à dos le reste du pays.

Le débat sur l’oléoduc Énergie Est pourrait briser le fragile équilibre dont Trudeau a hérité.

Le débat sur l’oléoduc Énergie Est pourrait briser le fragile équilibre dont Trudeau a hérité. S’il impose l’oléoduc au Québec, il risque de créer une nouvelle crise, mais s’il ne le fait pas, il se mettra à dos l’Ouest sans trouver de solution à la crise économique. Les Prairies ont encore une dent contre la politique énergique imposée par Trudeau père, qui maintenait les prix du pétrole bas afin d’être plus concurrentiels, mais privaient les provinces de revenus importants. Malgré ce ressentiment qui pourrait s’accentuer, il est moins dommageable de tabler sur une opposition territoriale est-ouest plutôt qu’une véritable guerre culturelle entre Québec et le fédéral.

Justin Trudeau partage visiblement les valeurs de ses prédécesseurs libéraux. Il a maintenant l’occasion de les incarner sans contraintes et d’endiguer le nationalisme québécois comme son père en aurait rêvé, mais il doit se retenir de le faire en criant victoire. Pour réussir, la discrétion est de mise.