Après l’assassinat d’Oussama Ben Laden en 2011, Al-Qaïda a perdu son titre d’ennemi numéro un de l’Occident. Celui-ci est aujourd’hui décerné au groupe armé État islamique (ÉI), d’abord actif en Syrie et en Irak, mais dont le territoire d’influence s’étend maintenant du Yémen au Pakistan, en passant par la Turquie et la France.
À l’exception du Nigeria – où il est «représenté» par Boko Haram – ÉI est cependant absent d’Afrique de l’Ouest. Dans cette région, la menace terroriste porte encore le nom d’Al-Qaïda. Sa figure la plus connue, Mokthar Belmokhtar, dit le Borgne, a même des airs de Ben Laden, auprès duquel il s’est battu à l’adolescence. Tout comme lui, il a faussement été déclaré mort à plusieurs reprises et se cacherait maintenant dans les montagnes, en Libye.
Belmokhtar compte actuellement parmi les djihadistes les plus recherchés au monde et le Département d’État américain offre une récompense de cinq millions de dollars pour des informations pouvant mener à sa capture. Sauf qu’étrangement, ni l’Algérien ni la branche d’AQMI qu’il dirige, Al-Mourabitoune – qui a revendiqué l’attentat de Ouagadougou – ne font l’objet d’une attention de l’ampleur de celle accordée à ÉI.
Sachant que ce n’est pas la première fois qu’une offensive d’AQMI implique des Canadiens et Canadiennes, il est surprenant que Justin Trudeau ne soit pas davantage sollicité par son électorat à combattre cette organisation terroriste. Il venait à peine de prendre ses fonctions quand a eu lieu la prise d’otages à l’hôtel Radisson Blu de Bamako, au Mali. Trois Québécois s’y trouvaient, et en sont heureusement sortis indemnes.
Également revendiqué par Al-Mourabitoune, l’attentat du 20 novembre poursuivait les mêmes objectifs que celui du 15 janvier : effrayer les étrangers, surtout les Occidentaux, venus faire des affaires ou apporter leur soutien au peuple et au gouvernement local.
Des raisons d’agir depuis décembre 2008
Les évènements qui auraient pu mener à une réaction d’Ottawa à l’endroit des nombreuses branches d’AQMI remontent au moins au 14 décembre 2008. Ce jour-là, deux diplomates canadiens, Robert Fowler et Louis Guay, ont été enlevés au Niger par des membres d’AQMI dirigés par Mokhtar Belmokhtar.
Leur captivité, racontée en détail par M. Fowler dans l’instructif ouvrage Ma saison en enfer, a pris fin 130 jours plus tard, entre autres grâce aux interventions des présidents burkinabè et malien de l’époque, Blaise Compaoré et Amadou Toumani Touré.
Aucune action d’envergure n’a alors été entreprise par le Canada envers AQMI, pas plus qu’au cours des années suivantes, sauf peut-être le dépôt d’accusations d’enlèvement contre Belmokhtar et Oumar Ould Hamahathe par la Gendarmerie royale du Canada en juin 2013.
Dans les derniers mois de 2012, alors que la situation se détériorait rapidement au Mali, aux prises avec une rébellion touarègue à laquelle étaient directement mêlés Belmokhtar et plusieurs groupes terroristes liés à AQMI, Robert Fowler a émis plusieurs avertissements destinés au gouvernement canadien, l’enjoignant d’agir rapidement.
« Il s’agit d’Al-Qaïda », avait fait remarquer l’ex-ambassadeur du Canada auprès des Nations unies, au cours d’une table ronde organisée par l’Université Carleton. « Ils feront tout ce qu’ils peuvent pour transformer la moitié supérieure de l’Afrique en un chaudron bouillant. » M. Fowler avait aussi soulevé le fait qu’il serait dans l’intérêt du Canada de protéger « les centaines de milliers de dollars » investis dans le développement des pays de cette région. Son vis-à-vis Robert Rotberg, professeur à John F. Kennedy School of Government de l’Université Harvard, avait ajouté : « Plus longtemps nous attendons avant d’agir, plus difficile ce sera. Ils (Al-Qaïda) peuvent s’enraciner davantage, perfectionner leur chaîne logistique et récolter du financement de sources externes. »
Harper avait dit non, les Canadiens aussi
En janvier 2013, le premier ministre Stephen Harper a refusé d’envoyer des soldats au Mali appuyer l’intervention militaire française, et ce, malgré l’ouverture témoignée quelques jours plus tôt par son ministre de la Défense d’alors, Peter MacKay. Le chef conservateur n’a finalement consenti qu’au prêt d’un avion de transport CC-17 des Forces canadiennes pour une semaine.
M. Harper semblait au diapason avec son électorat, du moins si l’on en croit un sondage réalisé à cette époque par La Presse canadienne et Harris/Decima : moins d’un répondant sur cinq était alors en faveur de l’envoi de troupes canadiennes au Mali.
Pourtant, le groupe dirigé par Mokhtar Belmokhtar – très impliqué dans ce conflit, faut-il le répéter – venait encore une fois de faire des victimes canadiennes… Cette fois-ci du mauvais côté de l’Histoire, cependant.
Deux jeunes hommes de London, en Ontario, étaient en effet parmi des terroristes qui ont mené la prise d’otages sur le site d’exploitation gazière d’In Amenas, en Algérie, qui s’est soldée par 66 morts en janvier 2013. Xris Katsiroubas et Ali Medlej ont été tués lors de l’assaut final. Un troisième Canadien, leur ami Aaron Yoon, avait été arrêté en Mauritanie en décembre 2011. Il a passé 18 mois en prison à la suite d’accusations liées au terrorisme, puis est revenu vivre à London.
Des menaces planent sur Abidjan et Dakar
À la lumière de ce rappel historique et des récentes réactions à l’attentat de Ouagadougou, deux conclusions s’imposent. Tout d’abord, il faut clairement faire comprendre aux Canadiens et Canadiennes la différence entre l’État islamique et AQMI. Ensuite, il serait temps pour Justin Trudeau et son gouvernement de réfléchir à leur position par rapport au groupe terroriste africain, et peut-être d’envisager des actions destinées à l’affaiblir. Prêter main-forte à l’opération antiterroriste française au Sahel, par exemple.
Surtout que, selon l’agence de presse américaine Bloomberg, de sérieuses menaces d’attentats terroristes planeraient maintenant sur Abidjan et Dakar, respectivement les capitales de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. Tout comme le Burkina Faso, ces deux pays d’Afrique de l’Ouest accueillent un bon nombre de ressortissants canadiens, en plus d’être la nation d’origine de plusieurs personnes issus de l’immigration. Autant de Canadiens et Canadiennes qui seraient frappé-e-s en plein cœur par un nouvel attentat terroriste en Afrique de l’Ouest.