En cherchant la date d’attestation du mot job dans le Nouveau Petit Robert, on apprend qu’il a été « répandu fin XIXe s. et surtout vers 1950 ». Ce qu’il faut comprendre, c’est que les dates d’attestation, surtout les dates plus anciennes, font référence aux attestations écrites des mots. Car on n’a pas vraiment de traces des attestations orales. On a donc retrouvé le mot job (masculin) dans des écrits français de la fin du XIXe siècle, mais surtout à partir de 1950. Ces dates sont très logiques, en fait : il y a eu une vague d’anglophilie en France au XIXe siècle, grâce, notamment, à la Révolution industrielle, et après la Seconde guerre mondiale, avec la montée de la puissance états-unienne.
Par ailleurs, le sens donné au mot dans le Petit Robert est « travail rémunéré qu’on ne considère généralement pas comme un véritable métier » (Nouveau Petit Robert, s.v. job). Cela ne correspond pas au sens québécois. Le mot, au Québec, fait référence à un emploi, point. Il n’y a pas de connotation de non-importance qui y soit associée. Et je suis certaine que Vincent Marissal, lorsqu’il a utilisé le mot dans son article, n’a pas voulu dire « emploi qu’on ne considère pas comme un véritable métier ». Que se passe-t-il? Et qu’en est-il du genre féminin au Québec? Pourquoi diantre aurait-on une hésitation de genre pour un tel mot? Il y a une remarque dans le Nouveau Petit Robert : « Ce mot est féminin au Canada. » C’est tout. Le sens québécois n’est même pas pris en compte.
Et si le mot n’était tout simplement pas le même en France et au Québec? Et si les Québécois et les Français avaient emprunté le mot job en parallèle, chacun directement à partir de l’anglais? Ça fait longtemps qu’on a le mot job au Québec. Et il a eu beaucoup plus de sens que seulement celui qui est attesté dans le Petit Robert. Le Glossaire du parler français au Canada, qui est un ouvrage datant de 1930 qui retrace les particularités du français québécois (même si on ne l’appelait pas ainsi à l’époque) n’en atteste pas moins de sept, qui vont du simple sens de « tâche, besogne, travail, emploi » à celui plus précis d’ « entreprise véreuse, tripotage », en passant par le « forfait », comme dans l’expression travailler à la job. On a également beaucoup de dérivés, tels jobbine (dont le sens correspond en fait à celui donné à job dans le Petit Robert), jobbable, jobbage, jobber, jobbeur, et tous ses composés, comme bottes de jobbeur, steak de jobbeur, etc.
Le mot job, substantif féminin, est donc un mot très vivant au Québec. Et il y a fort à parier qu’il l’a été plus ici qu’en France au XIXe siècle, témoins les nombreux sens et les nombreux dérivés. Pourquoi, donc, devrions-nous, Québécois, utiliser le genre masculin lorsqu’on emploie ce mot? C’est un emprunt à l’anglais. Et les mots anglais n’ont pas de genre. J’ignore pourquoi on lui a donné le genre féminin ici, et le genre masculin en France (le même phénomène s’est d’ailleurs produit avec le mot gang, qui, en plus de n’avoir ni le même genre, ni le même sens qu’en France, il n’a pas la même prononciation). Mais une chose est sûre, il n’y a aucune raison linguistique qui justifie qu’on choisisse le genre masculin plutôt que le genre féminin. D’ailleurs, c’est une erreur de la Maison Robert d’inclure le mot québécois dans le sens « de France ». Il aurait fallu, au moins, ajouter un deuxième sens à l’article, tout en notant que le mot est féminin. Et c’est une erreur d’utiliser le genre « de France » en accordant au mot le sens québécois.
C’est toujours cette maudite insécurité qui vient ternir tout. Insécurité par rapport au contenu des ouvrages de référence, mais, surtout, insécurité par rapport au « français de France », sur lequel la majorité des ouvrages de référence sont basés (à quelques remarques près). Notre français n’est pas le « bon ». Notre français n’est pas « correct ». Nos anglicismes sont mauvais, ils nous menacent d’assimilation. Mais ceux des Français, eux, sont bons. Ils ont le sceau officiel du Dictionnaire. On peut les utiliser, sans craindre de briser le français.
Mais nous autres, on dit une job, et on dit une gang, et on ne prononce pas le « t » de but (pourquoi ce « t » serait-il meilleur que celui de lit, je me le demande), et ici, tome ne rime pas avec Rome, mais avec paume. L’anglais états-unien et l’anglais britannique montrent des différences jusque dans l’orthographe des mots! Pourquoi ne pourrait-on pas reconnaître notre propre variété de langue comme étant légitime? Pourquoi le job des Français serait-il meilleur que la nôtre?